Tribune : “La terre, je lui ai assez donné” [par Noémie Collet]
Noémie Collet, éleveuse de chèvres à Saint-Jean-d’Aulps, Haute-Savoie, réagit consécutivement au suicide de Jean-Yves Marrec, éleveur Breton.
Encore un. Beaucoup trop. Combien ? Les chiffres sont édifiants, mais la légèreté de leur précision témoigne d’une méprisante inconsidération. Un ou deux par jour, a-t-on vraiment pris la peine de compter ? Comme si c’était normal, comme si on n’était pas à un près. Comme si c’était devenu l’issue inéluctable pour ces misérables de la terre, créés de toute pièce par une société hors-sol, superficielle et super-consommatrice, comme preuve irréfutable d’un malaise embarrassant. Et combien encore ? Seule certitude, beaucoup trop, tant qu’il restera des paysans.
Mais cette fois-ci, les dernières volontés de Jean-Yves Marrec, éleveur laitier en Bretagne, témoignent, par le poids de ses mots, de l’ampleur du drame qui décime les campagnes : “Je préfère être incinéré et mes cendres éparpillées en mer. La terre, je lui ai assez donné”.
Haïr la terre ? La haïr au point de ne vouloir y gésir ? Cette terre dont ils ont hérité, la même qu’ils devront transmettre, après l’avoir observée, apprivoisée, façonnée, retournée, cultivée. Cette terre qui nourrit les hommes. Certes, elle peut être dure, lourde, cassante, ingrate, mais la terre les a nourris, les a portés et leur aïeux avant eux.
Le glas résonne à mesure que la société déraisonne.
La terre, c’est la vie. La terre, c’est leur vie. Ici ou là-bas, aucune campagne française n’est épargnée. Le glas résonne à mesure que la société déraisonne. Unie et engagée face à la maltraitance animale, laissant la cause des paysans agonisants au triste sort de la mondialisation. Les hommes plient sous le poids d’un rythme effréné, de contraintes affligeantes, de règles commerciales dictatoriales, d’idées reçues nées de l’ignorance, et du mépris de donneurs de leçons s’improvisant tantôt bergers, tantôt viticulteurs ou céréaliers. Voilà comment le système parvient à écœurer les paysans de l’essence même de leur vocation. “Je préfère être incinéré et mes cendres éparpillées en mer. La terre, je lui ai assez donné”.
Comment la société, comment les responsables professionnels et politiques restent-ils sourds à ces cris silencieux d’agonie ? Ces mots, graves et pesants, devraient résonner à leurs oreilles, jusqu’à les en priver de sommeil. D’autant plus qu’il en va de la survie d’une espèce en voie de disparition. 400 000 aujourd’hui, dans dix ans, 50 % seront à renouveler. Quand on connaît l’énergie déployée par des lubies environnementalistes pour protéger les ours, les loups et les corbeaux, hypersensibles à la détresse de la biodiversité, alors qu’ils demeurent ignares à celle de leurs frères contraints à la corde pour quitter leur bagne.
Quand un ours venu des Balkans, réintroduit contre le bon sens même de l’écologie, fait la une et rassemble pour diviser en proposant la poule aux œufs d’or à qui dénoncera son bourreau, lui-même qui achève les dévoués de la terre pyrénéenne les uns après les autres. Quand les professions étatiques sont à leur tour touchées par le suicide, un professeur, un postier, un policier, ceux-ci ont à minima, l’honneur d’être le héros de quelques secondes en début de journaux télévisés. Mais qui parlera de Jean-Yves Marrec, mort à cause de cette France ?
Noémie Collet,
“La bergère en colère”
C’est toujours difficile de faire des commentaires sur un suicide. Vous le faites avec beaucoup d’humanité. Merci pour lui, pour les siens, pour nous…
Que cette société préfère les loups aux bergers, c’est ahurissant. Cette société peut-elle perdurer ?
En attendant qu’elle retrouve enfin le bon sens, combien d’entre nous seront découragés ?