Lettre à deux députés à propos de la propriété privée [par Jean-Paul Pelras]

Monsieur Jérémie Iordanoff, vous êtes élu dans l’Isère sous pavillon EELV, récemment rebaptisé “Les Écologistes”, parti politique, rappelons-le, membre de la Nupes, du moins jusqu’ici… Vous avez fait savoir, vendredi 13 octobre, que vous comptiez déposer une proposition de loi pour un “droit d’accès à la nature”. Décision consécutive à un conflit d’usage survenu dans les Hauts de Chartreuse, où une partie de la réserve naturelle aurait été interdite aux randonneurs par le propriétaire des lieux. Vous êtes épaulé dans votre démarche par une autre députée écologiste, Lisa Belluco. Précisons également que le propriétaire des terres se nomme Bruno de Quinsonas-Oudinot. Il est marquis. Ce qui, à défaut de légitimer votre requête, peut effectivement avoir une certaine résonnance auprès de la vox populi. Entre 500 et 1 000 personnes étaient réunies dimanche dernier au Col de Marcieu pour protester contre “la privatisation de terres de randonnée”.
Voilà pour les faits auxquels il faut rajouter un extrait de votre propos (France 3 Auvergne Rhône-Alpes) : “Un rééquilibrage doit être opéré entre la propriété privée rurale et forestière et la liberté d’aller et venir. Usagers de la nature comme propriétaires doivent être accompagnés pour garantir une liberté d’accès à la nature”.

Que l’on soit marquis dans l’Isère détenteur de 750 hectares ou jardinier dans la Creuse avec un lopin de 4 ou 5 ares, la notion de propriété privée doit-elle être reconsidérée ? Est-ce que vous accepteriez, Monsieur Iordanoff, artiste peintre de profession, une intrusion dans votre espace grenoblois car la société aurait décidé, par la voix du législateur, d’autoriser quelques libres déambulations entre aquarelles et chevalets ?
Est-ce que, Madame Belluco, inspectrice de l’environnement à la Dreal, passée par AgroParisTech, élue conseillère municipale à Poitiers aux côtés de Léonore Moncond’huy (qui voulait priver les enfants d’aéroplane) puis députée de la Vienne et participante, comme il se doit, aux manifestions anti bassines d’octobre 2022, vous accepteriez que des individus puissent aller et venir dans votre propriété, car une loi les y aurait subitement autorisés ? Une idée qui pourrait faire son chemin dans l’esprit de quelques politiciens fidèles à la devise “donne-moi ta montre et je donnerai l’heure”. Ou comment traverser le pré du voisin en toute impunité uniquement car il faut se dégourdir les guiboles et, pourquoi pas, y prélever de quoi assurer la petite omelette aux girolles.

La stigmatisation du monde agricole ne suffisait pas aux écologistes. Voilà qu’à présent (mais c’était prévisible et peut s’expliquer par un sentiment de frustration), ils lorgnent sur la propriété privée. Le libre-service champêtre et les clôtures qui restent ouvertes derrière le passage des randonneurs laissant aux troupeaux le soin de divaguer dangereusement, le piétinement des parcelles ou le bivouac installé à l’orée du champ, quand ce ne sont pas quelques rave-party improvisées sur ses terres à l’insu du paysan, sont autant de signes annonciateurs de dérives plus ou moins tolérées, pour ne pas dire admises et approuvées. Légiférer sur un “vrai droit d’accès à la nature” équivaut à autoriser toute forme d’intrusion avec une gestion des nuances qui va forcément engorger les tribunaux. Car il faudra définir ce qu’est “la nature”. Et surtout qui est en droit de la “posséder”. Mais aussi, notion qui vous aura certainement échappé, de l’entretenir et, quoi que vous en pensiez, de la préserver.

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