Les poux sont de retour !
Qui n’a jamais vu cette affichette sur la porte des écoles maternelles et primaires ? Elle apparaît en règle générale une semaine à quinze jours après la rentrée de septembre pour ne plus disparaître et peut faire l’objet de rappels sur la porte de chaque classe avec, de temps en temps, une “opération choc” de l’école en entier, la directrice ou le directeur ayant lancé un appel à toutes les familles pour une chasse aux poux du week-end. Bien que les poux ne volent pas et ne sautent pas, c’est une infestation qui n’épargne personne – sauf naturellement, et sans qu’on sache trop pourquoi, quelques têtes, dont les poux seraient moins friandes que d’autres. Des poux mutants et résistants qui sont le cauchemar de toutes les familles et le bonheur des fabricants de traitements “écologiques” aux huiles essentielles si onéreuses. Rien n’y fait, ou quasiment rien, pas plus ces nouveaux produits que ceux à base d’insecticide ou la tondeuse de grand papa, sauf à attendre les “grandes vacances”…
Bon. Alors bien sûr, depuis le 16 mars, les poux ont été éradiqués : plus d’école, plus de récréation, plus de jeux collectifs, plus de “temps calme” chez les tout petits ni de doudous à renifler, plus de secrets murmurés au creux de l’oreille des copains, ni de rires étouffés joue contre joue entre copines. En tant qu’agents infiltrés d’un nouvel ennemi s’attaquant à notre pays, les enfants ont été montrés du doigt par le gouvernement. Ces complices sournois du virus ont été relégués chez eux, enfermés et confinés bien avant l’heure, foudroyés par le regard des passants dès qu’ils osent prendre un peu l’air dehors. Punis par contumace et culpabilisés, avec parfois ce remords qui les ronge : j’aurais pas du faire des bisous à mamie la dernière fois que je l’ai vue…
Leur “suppression” sociale n’a pas suffi et l’épidémie redoutée n’en est pas moins devenue une pandémie. L’immunité prétendue des plus jeunes s’est avérée, très vite, erronée et l’enfermement de tous a mis l’économie du pays à plat. Alors le gouvernement a décidé qu’on allait en faire des agents du dé-confinement : pas les étudiants, pas les lycéens, pas les collégiens, mais les petits et les tout petits, ceux-là même dont la garde a conduit nombre de parents à ne pas aller au travail.
C’est devenu ça, l’École de la République…
Comme dans toute guerre, il faut de la “chair à canon”, ces tirailleurs sénégalais envoyés sur les premières lignes en 1940. Donc, à partir du 11 mai, l’école des petits doit reprendre, c’est ce qu’a décidé le président et son gouvernement. Renvoyant le bébé, la baignoire et l’eau du bain aux municipalités – sous prétexte de leur responsabilité institutionnelle – “on” les laisse organiser tout ça en leur imposant quand même un “cadre sanitaire” : lavage des mains, gel hydro-alcoolique, désinfection des wc entre chaque passage, masques et respect de la distanciation sociale avec un périmètre de quatre mètres autour de chaque enfant. Braves petits fantassins de cette drôle de guerre, on les envoie au front pour permettre au pays de se redresser, avec des enseignants, au dos encore endolori de la récolte des fraises de la variété Sibeth, et des personnels auxiliaires d’éducation que les mairies ont déjà redéployés pour la garde des enfants des personnels soignants et de tous ceux qui ont continué de travailler pour que la France confinée puisse ne manquer de rien. Alors, pour que ce sale virus n’échappe pas, comme les poux, à cette offensive stratégique mise en place par notre guide suprême, il va falloir une discipline de fer, un peu comme en Corée du Nord : de 3 ans à 10-11 ans, on va leur apprendre à ces gamins, avant d’aller à l’école, pendant l’école et après l’école, que ce sont eux qui portent la responsabilité d’une deuxième vague de la contamination ! L’école avec la peur au ventre et l’angoisse ! Bon, le gouvernement se défend de toute critique d’avoir cédé aux injonctions du Medef, en précisant que tout ne peut se faire que sur la base du volontariat. Un volontariat un peu “forcé” par le glissement, depuis le 1er mai, de l’allocation spéciale Covid-19 pour garde d’enfants (indemnisé au maximum à 90 %), vers le chômage partiel (indemnisé au maximum à 70 %) et qui ne sera pris en compte à partir du 1er juin que si les parents justifient d’une “attestation de l’école”, à savoir que l’école est fermée et ne peut accueillir leurs enfants. Pour un certain nombre – ceux dont les parents ont économiquement le choix – les enfants ne retourneront pas à l’école le 11 mai. Pour les autres, dont les parents vont travailler et prendre le bus ou le métro en serrant les dents et en retenant leur souffle, il va falloir y aller malgré tout. C’est devenu ça, l’École de la République, celle où dès le plus jeune âge, on apprend que tout le monde n’est pas égal !