Le futur ministre de l’Agriculture sera-t-il un photographe, un journaliste, un animateur de téléréalité ? (Par Jean-Paul Pelras)
Il n’y a pas si longtemps encore, c’est le boulanger qui fabriquait le pain, le mécanicien qui réparait les voitures, l’agriculteur qui travaillait la terre, le maçon qui construisait les maisons, l’instituteur qui enseignait, le médecin qui soignait … Le travail était fait et, bien sûr, les vaches étaient bien gardées. Et puis est arrivée cette époque où tout le monde se croit obligé de s’occuper de tout. La plupart du temps, davantage pour se répandre en conseils et recommandations que pour prendre l’outil des mains du tâcheron.
En une trentaine d’années se sont multipliées les associations (environ 1.4 millions en activité) alors que, parallèlement, les syndicats professionnels, réduits à leurs portions congrues, mobilisent de moins en moins. Résultat des courses, les « influenceurs » ne sont pas forcement ceux qui vivent de leur métier, mais ceux qui veulent gérer le métier des autres. Phénomène particulièrement prégnant en ce qui concerne l’agriculture avec la mobilisation de celles et ceux qui passent une bonne partie de leurs temps à dénoncer les méthodes et à critiquer les pratiques, sans savoir bien sûr ce qu’il en coûte de consacrer toute une vie, et non quelques jours de vacances, aux travaux des champs.
Le folklore ayant de toute évidence pris le pas sur la réalité, les médias marchands de peur et de rêve ont su élaborer le cocktail qui fait recette à coup sûr. Diffuser des reportages anxiogènes le lundi sur une agriculture qui empoisonne, pollue, réalise quelques inavouables profits. Et montrer, le mardi, celle qu’il faut idéaliser le soir venu depuis son canapé, car elle évoque cette époque bucolique où l’on allait, du côté de l’enfance, chercher les œufs et le lait à la ferme du pépé.
Pour convaincre, il fallait convoquer quelques vedettes préposées aux messages pro-environnementaux comme les photographes héliportés Yann Arthus Bertrand ou l’ex ministre d’Etat Nicolas Hulot. Des valeurs sures, des gens qui savent, vous comprenez.
Des gens qui vendent de belles images et quelques grandes idées
Des gens qui n’ont certainement jamais attrapé d’ampoules en nettoyant à la pioche les rangées de vigne perchées là où le tracteur ne peut arriver. Mais qui disent au vigneron comment « il ne doit pas » désherber. Des gens qui n’ont jamais passé plus de 5 minutes dans l’alcali des étables, mais qui sauront expliquer à l’éleveur comment épandre (ou pas) le contenu de la tonne lisier. Des gens qui ne sont pas foutus de faire pousser un pied de tomate et quelques navets, mais qui osent prétendre que la permaculture peut nourrir l’humanité. Des gens vertueux, qui ont pignon sur rue et que tout le monde écoute car ils vendent de belles images et quelques grandes idées. Nous pouvons nous demander, à ce titre, si le futur ministre de l’Agriculture ne sera pas choisi parmi les photographes, les journalistes, les animateurs de téléréalité …
Voilà d’ailleurs qu’après « L’amour est dans le pré » animé par Karine Le Marchand désignée comme il se doit marraine du Grand débat agricole, Stéphane Bern, autre grand expert agronome, a lui aussi compris qu’il y avait quelque chose à gratter du côté de ces campagnes où l’auditeur confiné rêve de s’expatrier.
Au sommaire de cette nouvelle série intitulée « La ferme préférée des Français », un peu de permaculture, du bio, de l’écologie, du circuit court, de la diversification… Et, bien entendu, pas de productions conventionnelles, pas d’impératifs économiques, pas de cultures hors sol, pas de pratiques susceptibles de heurter la sensibilité du spectateur consomm’acteur et surtout pas de grandes exploitations.
Lucratives imprécations télévisées
Ces exploitations qui nourrissent 67 millions de personnes, emploient 1.5 millions de salariés, génèrent 75 milliards d’euros de chiffre d’affaire avec des agriculteurs qui n’ont pas forcement le temps de regarder où se trouve la lune, à quel endroit placer le bourricot, quand préparer le purin d’ortie ou cajoler le coquelicot. Ces agriculteurs qui, pour rembourser leurs emprunts, maintenir l’emploi, honorer leurs contrats et approvisionner 365 jours par an les marchés ont peut-être autre chose à faire que d’écouter quelques lucratives imprécations télévisées.
Car le jour où la production française sera devenue déficitaire car trop stigmatisée, le jour où nous devrons pour nous nourrir compter sur un mélange de tofu et de criquets importés de Thaïlande ou d’Indonésie, quand la faim tordra le ventre plus vite que les idées, ceux qui ont préféré le discours de l’artiste à celui de l’agriculteur, s’apercevront très rapidement que pour se sustenter il faut moins compter sur les livres et les reportages que sur le contenu des placards et des congélateurs. Ce jour-là, à n’en point douter, le rêve reprendra sa place quelque part derrière la réalité.
Jean-Paul Pelras
Très bon article ,plein de sens et de réalité, à chacun son métier et laissons aux experts digne de ce nom d’accompagner les débats de société sur la base de faits scientifiques , techniques , économiques et non sur des considérations d’esprit et d’apriori sectaire arbitrés par des incompétents!