La pétanque, un jeu dangereux ? Faut peut-être pas pousser le bouchon trop loin ! (Par J-Paul Pelras)
Covid oblige, les joueurs de boules devront respecter des règles draconiennes. Cet art de vivre résistera-t-il aux nouvelles “réglementations” ?
Les papillons de nuit s’affolent sous le cocon des lampadaires. Nous sommes, une petite douzaine, réunis entre le gîte d’étape et l’église. Les équipes sont faites et les enfants pointent les premiers, avant de céder la place aux spécialistes du carreau parfait, de la sautée, de la rétropissette. Ceux qui ne tolèrent aucune “raspaille”, pas le moindre “pet de vieille” ou autres lamentables “casquettes”. Quelques estivants, un gilet jeté sur les épaules, s’arrêtent pour commenter la prouesse du tireur émérite et récoltent, en contrepartie, quelques haussements d’omoplates condescendants. Car la pétanque est une affaire sérieuse qui tient de l’art de vivre et concerne un bon dixième de notre population. Son histoire remonte à l’an 5700 avant notre ère, puisque l’on a retrouvé des boules et un cochonnet à côté d’une momie.
Et voilà que désormais, pour pratiquer ce jeu, sans parler de l’acte périlleux qui consisterait à embrasser Fanny, il va falloir garder nos distances entre compétiteurs, rivaliser sur des terrains séparés, ne pas se passer le cochonnet d’une main à l’autre, ni le mètre, ni le chiffon, ramasser les boules à tour de rôle et surtout pas celles de l’adversaire, si possible les marquer, se limiter aux oppositions individuelles, c’est-à-dire en tête-à- tête, tir de précision et entraînement personnel, désinfecter le matériel en début et en fin de partie, et patati et patata…
Activité socialement inquiétante…
Nous savions déjà qu’il allait peut- être falloir prendre un ticket, cet été, pour accéder à la plage à tour de rôle, que pour nous sustenter au restaurant nous serions séparés par des cabines en plexiglas, que pour nous rendre à plus de 100 bornes il faudrait encore se munir d’un laisser-passer, que pour se réunir en famille ou entre amis, seulement 10 convives seraient autorisés. Mais nous ne savions pas que la pétanque était un jeu dangereux, que l’on risquait autant en pratiquant cette activité, dans un petit village de l’Aubrac ou des Pyrénées, qu’agglutinés dans les couloirs du métro ou dans les rayons d’un supermarché. La pétanque, une activité qui peut donc, de toute évidence, s’avérer être socialement inquiétante. Peut-être car elle a le défaut d’être conviviale et de réunir, un peu finalement comme au comptoir des bistrots, plusieurs individus susceptibles d’échanger sur l’actualité du moment. Il faut dire qu’il existe un précédent. En effet, entre Charles IV et le Second Empire, le pouvoir essaya régulièrement de faire interdire ce jeu car il distrayait les garnisons. On dit même qu’un accident se produisit à Marseille, dans un couvent où étaient entreposés des barils de poudre. Les boulets, en claquant sur les dalles, auraient provoqué une explosion qui fit 38 morts et secoua un quart de la cité phocéenne. C’est dire, à bien y regarder, si la pétanque représente un réel danger pour notre nation.
Jean-Paul Pelras