Compétitivité agricole : et quatre sénateurs tombèrent de l’arbre ! [par Jean-Paul Pelras]
Rendez-vous compte, c’est Delahousse himself qui le dit un dimanche soir au 20 heures de France 2 : “Effondrement de l’agriculture française, la souveraineté alimentaire menacée. 60 % des fruits et 40 % des légumes importés. De 2e exportateur mondial en 1999, nous venons de dégringoler au 6e rang”.
C’est dire si l’heure est grave, c’est dire s’il faut y prêter attention. C’est d’ailleurs ce que viennent de faire quatre sénateurs, auteurs d’un rapport sur la compétitivité agricole intitulé “Une urgence pour redresser la ferme France”. Dans ce document, les parlementaires s’aperçoivent que les 2/3 des pertes de marché sont imputables à une chute de compétitivité. À cela, rajoutons la hausse des charges, mais aussi “une faible défense par l’État dans les accords de libre-échange” et “un climat politico médiatique qui vitupère un modèle agricole, pourtant le plus vertueux du monde.”
Sur ce dernier point, les législateurs devraient s’adresser directement aux journalistes du service public, Élise Lucet et Hugo Clément, toujours prompts à stigmatiser le paysan dès qu’il s’agit d’effrayer le consommateur et le riverain. Pour les points précédents et pour ceux qui suivent dans ce rapport, à savoir les différents leviers qui pourraient permettre d’accroître cette fameuse compétitivité, c’est à se demander si les sénateurs ont, depuis trois décennies, suivi l’actualité champêtre.
Car même s’il vaut mieux tard que jamais, pour beaucoup de maraichers, d’arboriculteurs ou de viticulteurs, à l’avenir ce sera toujours trop tard et plus jamais. Puisque, pour recueillir le témoignage de ces paysans reconvertis, il faut désormais se rendre devant les écoles ou ils font la circulation et partout où ils ont pu embaucher quand l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou le Maroc sont venus usurper leurs marchés.
400 000 tonnes de pêches produites en France à l’aune des années 90, plus que 160 000 aujourd’hui. 250 millions de pieds de salades produites chaque année, voila 30 ans, dans le seul département des Pyrénées-Orientales, plus que 35 millions désormais. Combien de fois ai-je égrené ces chiffres et bien d’autres en 15 ans de journalisme ? Combien de fois a-t-il fallu les marteler lorsque j’étais syndicaliste, du perron des préfectures aux conseils d’administration du CNJA, rue de la Boétie, en passant par la rue de la Baume quand Luc Guyau, alors président de la FNSEA, mais également du Copa-Cogeca, demandait à ce que l’on poursuive les agriculteurs, autrement dit ses propres ressortissants et cotisants, ayant déversé des marchandises importées à la frontière franco-espagnole ?
40 ans d’abandon politique
Et puis voilà qu’en consultant les titres, je découvre que quatre sénateurs tombent de l’arbre pour dénoncer un “manque de compétitivité”. Mais, Messieurs, Dames, depuis 1992 et les distorsions de concurrence dues à la dévaluation de la peseta, celles bien entendu imputables aux salaires variant du simple au double selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre des Pyrénées et, enfin, avec l’application à géométrie variable des normes environnementales entre pays européens, la paupérisation de certaines filières agricoles n’a cessé de vider nos campagnes depuis la fin des années 80.
Quarante ans d’abandon politique ont eu raison de ces arpents autrefois prospères où la friche a remplacé le jardin, où le no man’s land et le lotissement ont définitivement chassé le paysan. Ce paysan, et vous oubliez de le préciser, qui, lorsqu’il est (encore) maraicher, arboriculteur, vigneron, aviculteur ou éleveur porcin, ne perçoit, contrairement aux grandes cultures, aucune aide à produire venant de la PAC, mais seulement des aides aux investissements. Des investissements qu’il ne peut, la plupart du temps, plus réaliser car surendetté et devenu persona non grata auprès des banquiers.
Pour s’en convaincre, il suffit de visiter les marchands de matériel agricole établis en Beauce ou en Brie et se rendre, dans la foulée, chez ceux qui vivotent dans le Midi pour s’apercevoir que si les premiers vendent à tour de bras des engins à six chiffres, les seconds se sont reconvertis dans les tondeuses à gazon et les gyrobroyeurs tirés par des tracteurs qui tiennent avec du fil de fer. De toute évidence, la très timide convergence des aides initiée par la PAC voici quelques années n’a pas produit l’effet escompté. Car, le gâteau n’étant pas toujours facile à partager, il n’y a “au sommet” aucune volonté politique et syndicale déployée pour l’encourager.
Cette parenthèse étant refermée, vous pouvez effectivement, Mesdames et Messieurs les sénateurs, évoquer le “manque de compétitivité”. Pour y remédier, vous devrez alors exiger l’abrogation des accords de libre-échange ratifiés notamment avec le Maroc et les pays du Maghreb. Ce qui risque de poser quelques problèmes d’ordre géopolitique, y compris au sein des syndicats qui, dans le cadre des “eaux virtuelles de la Méditerranée” et depuis le Traité de Rome, exportent des céréales vers le continent africain et ferment les yeux sur les importations de fruits et légumes. Ces productions permettant, entre autres, de fixer les populations in situ.
Vous devrez également calmer les ardeurs des écologistes qui idéalisent l’agriculture française sans jamais connaître de l’outil ni l’usage, ni le prix et qui, de surcroît, ignorent tout des cœfficients d’adaptation. Enfin, vous devrez soulever un peu le tapis de ces subsides parfois abusivement attribués à certains secteurs de production qui n’hésitent pas à spéculer en période de crise. Oui, vous pourriez imposer une meilleure répartition des soutiens envers les secteurs les plus impactés par les pertes de compétitivité.
Dans l’attente, je vous souhaite bonne chance, en espérant que vous ne mettrez pas trente années de plus à légiférer !
L’agriculture française méconnue de nos dirigeants politiques, syndicaux, médiatiques et économiques. Mal aimée par le peuple ignorant et prêt à croire n’importe quelle billevesée. Une agriculture assez individualiste, tant au niveau régional qu’au niveau sectoriel. Certains paysans lors de week-end chargé peu enclins à se ranger sur le bas côté de la route pour laisser passer les voitures alors qu’ils auraient gagné en capital sympathie ont détérioré l’image du paysan. Une PAC mal répartie, ainsi quand l’Angleterre était encore dans l’UE leur reine était la 1ère bénéficiaire de ces aides… Enfin le pouvoir a tout fait pour que la nourriture coûte de moins en moins chère privant les agriculteurs d’une juste rémunération. Fils, petit-fils, frère, oncle de paysans normands…