Les chenapans [par Lilane Doger-Ledieu]

Une envie, comme ça, de raconter des petites choses, des souvenirs de “quand on était petit”. Allez savoir pourquoi ! 
Lorsque ma sœur est née, je n’avais pas deux ans mais j’avais déjà un petit frère de onze mois. Autant dire des triplés tellement la différence d’âge était infime, ce qui a fait de nous les champions de la connivence. Tous les dimanches matin, il fallait passer dans la petite baignoire “sabot” où maman nous frictionnait vigoureusement au savon de Marseille, l’un après l’autre mais sans changer l’eau. À cette époque, les ménages n’avaient pas besoin des conseils du gouvernement pour savoir comment économiser l’eau ou l’électricité. (Aujourd’hui, on s’en passerait aussi d’ailleurs.) Puis, on enfilait les habits du  dimanche. Jupe plissée blanche et chaussettes blanches pour les filles, pantalon gris en tergal pour mon frère. Les chaussures étaient celles de tous les jours, nous  n’en avions qu’une paire, soigneusement cirées la veille au soir.

Et nous voilà prêts pour partir à la messe. Maman nous accompagnait rarement. Elle devait préparer le poulet et un bon dessert, peut-être une semoule avec des raisins secs… Papa, quant à lui, était à la pêche ou à la chasse suivant la saison et nous rapporterait sans doute un petit gibier qu’il faudrait ensuite plumer ou  dépouiller, ou bien quelques truites et un bouquet de marguerites pour maman si l’on était au mois de mai. À l’automne, c’était surtout des champignons et des châtaignes qui alourdissaient la gibecière.

Ni vu, ni connu…

Nous recevions chacun une pièce de vingt centimes pour la quête et en route. Il nous fallait bien trois quarts d’heure pour parcourir les deux kilomètres qui nous  séparaient de l’église, en prenant soin d’éviter les flaques. Juste avant d’arriver, nous passions devant une toute petite épicerie et l’on pouvait voir, sans même y entrer, les jolis bocaux de chaque côté du comptoir. Carambars, malabars, roudoudous, boules de coco, caramels, colliers de bonbons couleur pastel, sucettes et autres berlingots. En un mot, l’antre d’Ali Baba ! Nous nous arrêtions devant la vitrine, le temps de faire un rapide calcul. Les caramels à un centime ça en ferait vingt. Les roudoudous à dix centimes, pareil pour les boules de coco, cinq centimes les rouleaux de réglisse, les mini sachets de caransac et les soucoupes à la poudre. Pas facile. Bon, on verra…

Dépêchons-nous, la messe va commencer ! Pendant l’office, sages comme des images, nous attendions la quête. Quand la corbeille arrivait à nous au bout d’un bras tendu dont nous n’osions regarder à qui il appartenait, notre cœur battait très fort. La pièce de vingt centimes, bien serrée avec trois doigts, chacun notre tour, nous la faisions résonner en tapant doucement dans le panier puis, sans la lâcher, nous refermions rapidement le poing. Ni vu, ni connu, mais ça nous donnait drôlement chaud quand-même ! 
Voilà comment l’épicière nous voyait entrer dans sa boutique tous les dimanches après la messe.

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