Retraites : et si “la clause du grand-père” bénéficiait aussi aux salariés du secteur privé ? [par Jean-Paul Pelras]

Quand un gouvernement s’apprête à réformer le régime des retraites, il commence par éviter toute décision susceptible de heurter les administrations ou certaines entreprises publiques comme la SNCF, l’EDF, la RATP, mais aussi la Banque de France, l’armée la police, les agents publics hospitaliers, la Comédie française, les clercs de notaires… Donc, historiquement, il ne touche pas aux régimes spéciaux. Et ce, même si certains d’entre eux nécessitent l’intervention de l’État pour combler des déficits récurrents dus au déséquilibre entre cotisants et bénéficiaires. Sur 37 régimes de retraite, on dénombre 15 régimes spéciaux et 4,5 millions de pensionnés pour qui l’âge légal de départ peut, parfois, être inférieur à 60 ans, comme pour les machinistes de la RATP qui peuvent cesser leur activité à 50 ans et 8 mois. Et ce, avec une durée de cotisation réduite puisque, si le régime général impose 172 trimestres cotisés, le régime spécial de la RATP, par exemple, impose entre 161 et 168 trimestres. Précisons enfin que si pour les salariés du régime général le calcul tient compte des 25 meilleures années de salaire (pour l’agriculture à partir de 2026 uniquement), dans le cadre des régimes spéciaux le calcul est basé sur les 6 derniers mois d’activité.

Et là, les agents du service public qui ont eu la force d’arriver jusqu’ici s’apprêtent à s’exclamer en cœur : “Encore un qui va taper sur les fonctionnaires”. Que nenni, mesdames et messieurs. Même s’il faut reconnaître, dans cette liste non exhaustive d’avantages énumérés précédemment, quelques “bienfaits” non duplicables au secteur privé, je me garderai bien de comparer ici le modus vivendi de l’ouvrier agricole avec celui du contrôleur SNCF, retraites, primes et salaires compris. N’étant pas du style à tomber facilement dans ces travers où certains veulent m’entrainer, je me contenterai de poser cette question : pourquoi, à l’instar des salariés du secteur public, ceux du secteur privé ne pourraient-ils pas bénéficier des régimes spéciaux ?

Une amplitude qui court tout de même sur 80 balais

Car, et nous y venons, lorsque, vraisemblablement courant décembre, madame Borne va dégainer son 49-3 pour faire grimper l’âge légal de la retraite à 65 ans, elle accordera aux bénéficiaires des régimes spéciaux la clause dite “du grand père”. Une disposition qui consisterait à appliquer la réforme des retraites uniquement aux personnes arrivant sur le marché du travail après le vote de la loi. La réforme, pour les agents nouvellets, ne s’appliquerait donc que dans… une quarantaine d’années. Oui, oui, vous avez bien lu. Alors que, pour les autres et principalement ceux issus du secteur privé, elle s’appliquerait immédiatement et concernerait, de facto, ceux qui travaillent depuis plus de 40 ans !

Considérant cette amplitude qui court tout de même sur 80 balais et afin de ne heurter personne, pourquoi ne pas imaginer un vaste élan de solidarité où, bras dessus-dessous, main dans la main, tous ensemble, tous ensemble… salariés du secteur privé et salariés du secteur public, solidaires et indivisibles, iraient manifester sous les fenêtres du cardinal de service pour réclamer ce minimum d’équité, d’égalité, de fraternité. À moins que ces quelques principes, au nom d’un corporatisme, là encore forcément imaginaire, soient ad vitam aeternam condamnés à être galvaudés.

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