Gaspacho de fraises
À l’heure où l’Espagne vient de se porter volontaire pour accueillir des migrants évoquons, sans qu’il ne puisse bien sûr y avoir la moindre relation possible, le sort réservé aux saisonniers agricoles employés notamment en Andalousie pour les récoltes de fraises ou de tomates. Depuis plus de 30 ans, les médias du monde entier promènent régulièrement leurs “caméras cachées” dans ces mers de plastique et de cultures plein champ où les ouvriers suffoquent, travaillent 15 heures par jour, et dorment à même le sol pour moins de 5 euros de l’heure. Des hordes de pauvres gens qui, moyennant un dossard numéroté, un abri de fortune et une bouteille de gaz pour faire bouillir la marmite, fuient les dictatures orientales.
Récemment de nombreux médias espagnols ont dénoncé les mauvais traitements infligés à des ouvrières marocaines. El Periodico à même écrit : “Si tu es féministe, n’achète pas de fraises”. Dans El Pais, une avocate signe une tribune où elle explique que ces femmes travaillent dix heures par jour sans être autorisées à boire ou à se reposer. Insultées, humiliées, douze d’entre elles ont décidé de porter plainte pour harcèlement au travail, harcèlement sexuel, viols ou tentatives de viol. Dans le Figaro Madame du 28 juin, la journaliste Julia Avellaneda écrit : “Le ministre de l’Emploi marocain Mohamed Yatim a confié être en négociations avec le gouvernement espagnol pour envoyer 18 000 femmes sur les terres des régions de culture intensive espagnoles en 2019, où « il n’y a quasiment plus de main-d’œuvre espagnole », explique le professeur d’économie, interrogé par l’AFP, José María Sumpsi, dirigeant de l’organisation Économistes sans frontières.”
Récolté entre deux outrages…
Des méthodes et des contrats en origine (contrataciones en origen) qui privilégient, pour moins de 40 euros par jour, l’embauche de femmes ayant des enfants de moins de 14 ans. Critère qui garantit le retour de ces ouvrières dans leur pays d’origine après la récolte. L’exemple de ces femmes maltraitées et exploitées vient amender la liste non exhaustive des méthodes pouvant être apparentées à de l’esclavagisme contemporain. Celui dont fait preuve le Royaume Chérifien en employant, par exemple, des salariés pour 5 euros par jour au Sahara Occidental. À cette différence près que l’Andalousie et la province de Huelva où ces pratiques ont cours en toute impunité, se situent en Europe. Et plus précisément à proximité de ces plages où quelques technocrates issus de
27 pays occidentaux vont régulièrement décortiquer en famille des crevettes blanches ou déguster quelques tranches de jabugo accompagnés d’un Condado de Huelva servi bien frais. Avant de finir, comme il se doit, avec un gaspacho de fraises récoltées entre deux outrages du côté de Moguer ou de Mazagon. Sans que cela ne vienne altérer leur conscience ou bousculer leurs idéaux bruxellois d’ordinaire prompts à infliger normes draconiennes et mesures coercitives aux agriculteurs français qui laissent
trainer un sac d’engrais à 10 mètres d’un ruisseau. Ou qui osent, provocation suprême, laisser monter un salarié sur un escabeau.