Banyuls-Collioure : un défi de taille

Georges Roque : “Nous ne sommes pas assez attractifs pour assurer le renouvellement du vignoble.” Photo Yann Kerveno

Comment enrayer l’érosion des surfaces du cru Banyuls Collioure ? Peut-être en faisant fi de l’histoire ?

Débarquant à Banyuls sur Mer, un observateur attentif des choses viticoles ne manquera pas d’être frappé par un constat. Ici, sur ces pentes abruptes, se concentrent sur quelques centaines d’hectares l’ensemble des handicaps de la viticulture française. Main d’œuvre, foncier, pyramide des âges très fortement défavorable, marchés très concurrentiels, plus les spécificités locales, la quasi-impossibilité de mécaniser et la présence des vins doux dont la consommation ne cesse de décliner. Alors le visiteur pourrait se dire que tout est perdu, que finalement ce vignoble-là n’a pas vraiment d’espoir.
Sur place pourtant, les énergies ne manquent pas qui tentent de sauver ce qui peut-être sauvé, avec plus ou moins d’ambition. Les constats pour l’heure sont pénibles, Georges Roque, président de l’appellation dégaine le chiffre qui fait mal : 80 % des vignerons de l’appellation ont plus de soixante ans. Et pourquoi ? “Parce que nous ne sommes pas attractifs ! Les retours sur investissements sont trop aléatoires, que ce soit en cave coopérative ou en cave particulière. Il n’y a jamais eu de volonté de valoriser nos produits à leur juste valeur. On parvient à valoriser quelques cuvées, mais pas l’ensemble. Tant que vous avez des Banyuls à 5 ou 10 euros en grande distribution, c’est un problème économique.” Il est aussi question de la structuration de la vente des vins de l’appellation. “Nous sommes un peu prisonniers de la vente directe parce que les paniers moyens des estivants ne sont pas importants, les vins doux naturels, qu’on le veuille ou non, sont en déclin, sans compter les problématiques actuelles, les lobbies anti-alcool et bientôt anti-sucre” liste Christophe Czekaj, directeur de l’ODG. Romuald Peronne, vigneron indépendant (Clos Saint-Sébastien), enfonce le clou et pointe du doigt le maître problème : la rentabilité et la valorisation des vins. “Il faut être réaliste. Si nous vendions correctement nos vins, si nous gagnions notre vie avec nos vins, il n’y aurait pas de problèmes !”

Alors quelles pistes ?
Laurent Barreda, président du GICB voit principalement deux scénarios possibles. Ne rien faire et laisser finalement le temps décider. “Nous irions donc lentement vers la fin du vignoble. Nos vignerons auront bientôt 80 ans, il n’y a pas d’emploi sur la côte, la SNCF et la santé c’est fini, l’immobilier est hors de prix, toute l’activité économique est phagocytée par Perpignan. C’est le scénario qui a le plus de chances de se réaliser.” Pour le second il entrevoit l’arrivée d’investisseurs sur la place banyulenque, “des groupes qui s’installeraient par des achats groupés de vignes puisque de toutes façons, tout est à vendre, et qui rationaliseraient le vignoble pour mécaniser des îlots de 10 à 20 hectares, on s’occuperait des murettes à sauver… C’est un peu ce que l’Étoile fait mais elle fait travailler les vignes par des entreprises d’insertion. Nous réfléchissons aussi à ce type de projet” ajoute-t-il. Le tout appuyé par quelques investissements d’entreprises disposant d’image bien établie mais qui souhaitent aussi tirer parti de l’image du vignoble comme Chapoutier ou AdVini l’ont déjà fait…
“Faire venir des investisseurs, oui, mais ce ne sont pas des philanthropes” rappelle Romuald Peronne, “s’ils ne viennent que sur la pointe des pieds c’est bien parce qu’ils ont compris qu’il n’y avait pas d’argent à gagner ! C’est pareil pour les jeunes, ils ne s’installent pas parce qu’ils ont vu leurs parents travailler sans gagner d’argent. Les raisins sont vendus à 1,5 euro le kilo ! Ça ne peut pas fonctionner ! Et c’est difficile aussi pour les vignerons indépendants de racheter des vignes qui sont dans les coopératives.” Ce changement d’échelle ne s’opérerait pas en plus sans une modification substantielle du paysage côtier avertit le vigneron du Clos Saint-Sébastien.

Deux logiques
“En Catalogne, en Priorat, qui est une appellation pour le moins prestigieuse, ils regrettent d’avoir cédé à cette lubie de destruction des murettes, ils ont sacrifié une partie de leur image dans cette opération” ajoute-t-il. À la cave de l’Étoile, Jean-Pierre Centène estime lui aussi que la sortie passera par une meilleure valorisation. “On ne peut pas lutter contre l’augmentation des coûts de production sur nos terroirs, la seule solution c’est de vendre nos produits plus chers parce que je crains qu’aujourd’hui, les Collioures qui nous ont sauvés jusqu’ici, soient arrivés à leur plafond en termes de volumes.” Au final, ce sont bien deux logiques qui s’imposent au regard du visiteur. D’un côté les caves particulières qui tentent de s’en sortir par la montée en gamme et en prix, délaissant, pour certains, les vins doux pour se concentrer sur les Collioures. De l’autre, les caves coopératives, fidèles à leur modèle qui cherchent des solutions pour préserver l’essentiel, leurs outils économiques et leurs volumes appuyés sur un marché des vins doux en déclin.
En attendant, les comptes annuels sont cruels dans la compta des exploitations et pour les statistiques de l’appellation. Une cinquantaine d’hectares sortent de production chaque année. À ce rythme-là, il faudra moins de dix ans pour passer sous le seuil des 1 000 hectares et la solution ne passera peut-être que par une remise à plat collective de l’ambition des vignerons du cru.

Yann Kerveno

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