Vignerons indépendants : “faire reconnaître notre poids économique” [par Yann Kerveno]
Avec la crise du Covid, on en avait presque oublié que les assemblées générales puissent se tenir en présentiel. Ce fut pourtant le cas la semaine passée avec celle des Vignerons indépendants des Pyrénées-Orientales, à Saint-Estève.
Histoire de donner le ton, Guy Jaubert, président du Syndicat des Vignerons indépendants revenait sur les deux années passées et se félicitait que le syndicat soit toujours aussi représentatif de la viticulture départementale. “Si le nombre de nos adhérents à un peu reculé” précisait-il, “il est passé de 300 à 275, c’est en particulier à cause du contexte économique qui est le nôtre. Mais les vignerons adhérents au syndicat représentent les deux tiers des vignerons indépendants du département.” Guy Jaubert revenait ensuite sur le budget communication qui resterait orienté sur la reconnaissance locale des vignerons indépendants, comme c’est le cas ces dernières années avec la réalisation des sets de tables pour les restaurants puis les sachets à pain l’an dernier. 14 000 euros seront consacrés cette année à ce poste.
Julien Puyuelo, animateur du syndicat, ajoutait ensuite quelques données chiffrées à l’exercice passé, en particulier sur les dossiers d’investissements : 17 ont été instruits par le syndicat pour un montant total de 2,8 millions d’euros pour 823 000 euros de financements. Et pour 2022, 15 dossiers ont déjà été montés.
“Nous prenons le pas sur le négoce”
De son côté, Philippe Bourrier, vice-président du syndicat, regrettait toutefois que la voix des vignerons indépendants ne soit pas plus portée, faute de volontaires, dans les instances où elle doit se faire entendre et il enjoignait les présents, une quarantaine de personnes, à s’investir plus avant, dans les ODG ou ailleurs. Il rappelait ensuite le poids acquis ces dernières années par la vente directe dans la viticulture départementale. Elle pèse aujourd’hui 55 % de sorties annuelles contre 45 % pour les contrats de négoce ; si l’on regarde plus finement, elle atteint 67 % pour les vins secs. “C’est bien la preuve que nos entreprises qui vendent directement, vignerons indépendants ou coopératives, sont en train de prendre le pas sur le négoce dans le département” concluait-il. L’occasion pour Guy Jaubert de rebondir sur le sujet dans son rapport moral et de demander que les règles de l’interprofession changent.
Modification des statuts du CIVR
“Notre poids économique est sous-estimé et nous ne sommes pas représentés au sein du collège des metteurs en marchés directs, alors que nous sommes reconnus en tant que tel puisque nous percevons des appels à cotisation !” Il avançait ensuite trois propositions, teintées d’ironie : “soit les metteurs en marchés directs qui siègent actuellement assument le règlement de l’ensemble des cotisations, soit les metteurs en marchés directs empêchés de siéger sont exemptés de cotisations, soit nous sont octroyés des sièges à hauteur de notre représentativité dans ce collège… Nous appelons donc à une modification rapide des statuts du CIVR.”
Invité à conclure les débats, Jean-Marie Fabre, président des Vignerons indépendants de France, procédait à un tour d’horizon critique des réponses faites par l’État aux deux années de crises que nous traversons, appelait à un véritable plan Marshall à la suite du Varenne de l’eau…
Déclaration de guerre
Mais il insistait aussi sur un récent rapport européen sur la lutte contre “toutes les consommations nocives et excessives” incluant le vin. “C’est une véritable déclaration de guerre, il faut que l’Europe n’oublie pas que zéro consommation c’est aussi zéro production. Et jusqu’où vont aller les idéologues ? On peut leur souffler le cas des particules fines qui provoquent des cancers, si l’on va au bout de cette logique, alors il faudra nous interdire de respirer !”
Vous avez dit flavescence ?
La lutte va manquer de moyens pour rester efficace.
L’assemblée générale avait en outre mis deux sujets d’actualité à son menu : la lutte contre la flavescence dorée et la lutte contre la grêle. Pour le premier thème, source de polémique s’il en est, Nicolas Bennes détaillait le cadre de la lutte contre les ravageurs et ses trois niveaux d’intervention, les organismes de quarantaine prioritaire, les organismes de quarantaine (dont la flavescence dorée) et les organismes réglementés non de quarantaine qui impliquent des réponses différenciées. Il rappelait ensuite que les mesures prophylactiques sont obligatoires pour tenter de contenir la maladie, que l’arrachage des souches contaminées est obligatoire et que, dès que 20 % des ceps d’une parcelle sont touchés, l’arrachage complet est obligatoire. Avec un cœfficient multiplicateur de 7, la bactérie responsable de la maladie, transmise par insectes piqueurs en particulier, est éminemment contagieuse ; en 2021, le nombre de souches contaminées dans le département a doublé.
Autre facteur qui risque de peser dans la balance, la baisse des dotations financières de l’État qui va faire reculer la prospection effectuée chaque année sur les trois quarts du vignoble départemental à une portion bien inférieure dès cette année…
Parcelles abandonnées et bios
Dans ce dispositif, Guy Jaubert le rappelait, les dents creuses sont les parcelles à l’abandon. “Nous avons demandé que toutes ces parcelles soient considérées comme infectées” expliquait-il, “mais nous n’avons pas été entendus”. Philippe Bourrier intervenait ensuite pour préciser à son tour que la prophylaxie avait un coût non négligeable, trois traitements sont obligatoires par an et que les vignerons s’en passeraient volontiers si “le département pouvait être un jour déclaré indemne.”
Puis vint l’inévitable question de la bio, qui ne dispose pas de produits réellement efficaces pour protéger le vignoble de cette calamité. “On pourrait techniquement prospecter tout le vignoble, mais on n’en a pas les moyens” ajoutait Guy Jaubert, “alors pourquoi ne pas autoriser les producteurs bios à avoir accès à des produits efficaces, on réglerait le problème en deux ans. Je ne comprends pas à ce sujet le positionnement de l’Agence de l’eau, ils sont prêts à nous aider à nous passer de trois traitements mais ne nous aident pas à prospecter.” “Pourtant, quand on est capable de mettre deux millions d’euros dans une passe à poissons, on doit pouvoir faire un effort pour ce genre de chose” ironisait Claude Jorda depuis la salle.