Viande de synthèse : interrogations ! (2nd partie) [par yann Kerveno]

On en parle beaucoup mais jusqu’à maintenant, il n’y a pas grand-chose qui soit sorti des éprouvettes, sinon à Singapour. Qu’en est-il de la promesse industrielle de la viande de synthèse ? Le point avec Jean-François Hocquette, directeur de recherche INRAe à Clermont-Ferrand. Deuxième partie.

Revenons aux produits. Malgré les annonces, nous sommes un peu comme sœur Anne devant son rayon qui ne verrait rien venir non ? Est-ce le changement d’échelle, de l’éprouvette à la production industrielle, qui freine ?
Effectivement, de nombreux articles scientifiques ont été publiés ces derniers mois pour alerter sur les difficultés de ce changement d’échelle, l’importance des investissements et surtout des défis techniques pour développer les usines, les milieux de culture, le recyclage de ces milieux de culture… Mais ce ne sont pas les seules questions, il faut ajouter la fabrication de tous les ingrédients, les questions de sécurité sanitaire parce que les exigences sont au moins les mêmes que celles d’un abattoir en la matière.

Des usines fonctionnent-elles déjà ?
À priori, d’après ce que nous pouvons voir dans la presse, il y en aurait deux, une en Israël, de la société Future Meat, et une en Californie, de la société Upisde Foods. Mais c’est là certainement ce qui est le plus gênant, c’est qu’on ne sait pas grand-chose sur ce qui se passe dans ces start-up. Elles refusent de manière assez générale de travailler en science ouverte, c’est-à-dire de mettre à disposition des chercheurs les données qui ont permis de parvenir aux conclusions énoncées par les articles scientifiques qu’elles publient, afin que ces données puissent être vérifiées ou mises à l’épreuve ou intégrées dans d’autres recherches. C’est pourtant ce format de science ouverte qui a permis à l’astronomie de connaître les avancées majeures de ces dernières années, parce que les données sont disponibles. Il n’est souvent pas non plus possible de visiter ces entreprises, comme pour les données, on nous oppose le secret industriel, mais nous savons depuis longtemps travailler avec de grands groupes industriels et leurs secrets. Comment donner confiance si l’on ne peut pas vérifier les résultats scientifiques de manière indépendante ?

Ce ne sont d’ailleurs pas les seules questions posées par le développement de ces technologies…
Non, leur credo c’est de dire : “Nous voulons nourrir la planète tout en préservant l’environnement et en améliorant le bien-être animal.” Mais nous voulons tous cela ! La question à se poser c’est : est-ce que la viande de synthèse répond à cela ou n’y a-t-il pas d’autres voies plus efficaces ?

C’est-à-dire ?
On peut très bien imaginer réformer complètement nos systèmes d’élevages pour ne plus importer de tourteaux de soja par exemple, on peut aussi identifier dans la population les catégories de consommateurs dont l’alimentation est la moins impactante pour l’environnement et aussi la meilleure pour leur santé et convaincre les autres consommateurs d’adopter ces régimes vertueux. On peut aussi se pencher sur la question du gaspillage alimentaire, c’est un tiers de ce que nous produisons, réduisons-le de moitié et nous aurons déjà fait un grand pas…

Ne vaut-il pas mieux regarder tout cela et voir quels sont les leviers les plus efficaces plutôt que de mettre tous nos œufs dans le même panier de la “viande de culture” ? Et puis, c’est un secteur qui ne répond pas, jamais, aux autres questions si le nombre d’animaux d’élevage est réduit : que fait-on des animaux d’élevage ? Faut-il les euthanasier ? Ne risque-t-on pas d’assister avec leur disparition à une perte de biodiversité qu’on cherche à combattre par ailleurs ? Dans ces entreprises, vous trouvez d’excellents physiologistes spécialistes de la multiplication des cellules, mais à côté de cela il y a de nombreuses questions qu’ils ne se posent pas. Ou ne veulent pas se poser.

Par exemple ?
Il y a celle du sérum fœtal de veau avec lesquels sont composés les milieux de culture de ces fibres musculaires (c’est comme cela que la viande de culture est produite avant d’être vendue à Singapour). Les entreprises argumentent en expliquant qu’elles évitent l’abattage des animaux, mais il faut bien abattre des vaches gestantes pour recueillir ce sérum fœtal… Il y a aussi des questions posées par les chercheurs, les vétérinaires, sur les dérives génétiques qui ne manqueront pas de survenir lors de la multiplication cellulaire. Ces dérives, l’ADN se modifie, surviennent naturellement et même si le taux est très faible, n’y a-t-il pas là un risque ?

Si je force le trait, je dirai que ces dérives peuvent donner naissance à des cellules cancéreuses, qui, même si elles sont digérées par nos estomacs, méritent peut-être qu’on s’y penche au nom du principe de précaution. Enfin, on peut aussi parler nutrition. La viande ce n’est pas seulement de la fibre, ce sont aussi des oligoéléments, des micronutriments. Les promoteurs de ces techniques expliquent qu’il suffit de rajouter ce qui manque. Or on sait très bien que cela ne fonctionne pas comme ça. On sait par exemple que le fer contenu dans les végétaux est bien moins assimilable par nos intestins que celui contenu dans la viande, parce qu’il y a ce qu’on appelle un “effet matrice” qui facilite l’absorption…

Souvent le prix au détail est avancé comme un facteur limitant de la commercialisation de ces produits, est-ce vrai ?
Personnellement je suis assez convaincu que, avec l’aide de la technologie, le prix va baisser dans les années qui viennent. Après, cela relève de la stratégie des entreprises. Certaines ont décidé de se positionner sur le haut de gamme, le foie gras par exemple, qu’elles pourront vendre cher, d’autres sur des marchés de masse…

On parle aussi parfois des produits composites, protéines végétales et protéines animales de synthèse, comme d’une clé de développement de ces produits. Est-ce envisageable ?
C’est peut-être un moyen de faire reculer la résistance psychologique des consommateurs mais c’est surtout, à mon avis, un des leviers qui permettront de faire baisser les prix.

Quand on voit l’ampleur que prennent de l’autre côté les industries des protéines végétales, avec des investissements qui se comptent en milliards de dollars, est-ce qu’il n’est peut-être pas déjà trop tard pour la viande de synthèse qui n’a toujours rien à vendre, sinon une promesse ?

C’est la question pertinente qu’a déjà posée une chercheuse australienne Robyn D. Warner dans un article scientifique de 2019 dans lequel elle se demande si les développements de la viande de synthèse ne sont pas déjà obsolètes, donc voués à l’échec. Cela nous renvoie peut-être, pour les plus âgés d’entre-nous, aux steaks de pétrole dont on nous prédisait l’avènement dans les années soixante-dix !

Propos recueillis par Yann Kerveno

Une réflexion sur “Viande de synthèse : interrogations ! (2nd partie) [par yann Kerveno]

  • 6 juillet 2022 à 15 h 53 min
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    Bonjour,
    et merci pour cette excellente interview!
    Oui, la viande artificielle est une hérésie tant sur le plan nutritionnel qu’écologique …

    Une pharmacienne nutritionniste sensible aux questions environnementales

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