Une révolution silencieuse ? [par Jacqueline Amiel Donat]

Effervescence dans la stratosphère politico-médiatique au lendemain de ces élections régionales et départementales : les français.e.s ne sont pas allés voter ! Guère plus au second tour qu’au premier et ce malgré les incantations des uns et des autres au cours des derniers jours. Alors c’est sûr, chacun y va de son analyse et de sa solution – de l’entre-soi sur plateaux télé ou autres – et que personne n’écoute, ou presque. Il faudrait pouvoir consulter les statistiques d’audimat des plates formes de streaming ou des chaînes câblées pour vérifier l’éventuelle adéquation de ce désintérêt pour les urnes avec le nombre de ceux qui ont fui ces “soirées électorales”. Alors soyons clairs, je fais partie de cette génération pour laquelle le droit de vote est un devoir : donc, premier et second tour, “a voté”. Mais pour autant, sans aucune conviction : ces années d’apnée du vote pour le moindre mal finissent par éroder tout sens du devoir…

Et ce que ne comprennent pas nos “élites” parisiennes, c’est que plus il s’agit d’élections de proximité, plus il y a de chances/risques de connaître personnellement les candidats en présence et par là, d’être à même de savoir le décalage existant entre le discours et la réalité. Prenons les résultats du département des Pyrénées-Orientales, pas vraiment touché par le phénomène du week-end à la campagne et autres difficultés techniques qu’on voudrait résoudre par un système électronique de vote : aux départementales, sur un électorat composé de 354 239 citoyens inscrits, seuls 134 731 se sont rendus dans les bureaux de vote, dont 10 039 citoyens qui se sont exprimés en votant blanc ou nul. Au final – avec une légère variabilité selon les cantons – les élus départementaux, qui se réjouissent de leur victoire depuis dimanche, peuvent revendiquer d’avoir “convaincu” la majorité du tiers des électeurs, soit 1 électeur sur 6 du territoire représenté. Et même chose quasiment pour les régionales avec un peu plus d’abstentions et un peu moins de votes blancs ou nuls.

Que disent ces deux électeurs sur trois ?

Ce n’est pas récent et cela fait à présent de nombreuses années que peut être constatée, au-delà du “quota” classique de l’abstentionnisme, la progression de cette manifestation silencieuse de rejet. Car, plus que de désintérêt, il s’agit bien d’un rejet du système en mille-feuilles de la représentation démocratique en France.
Même si à chaque scrutin (sauf l’élection présidentielle de 2007), cette tendance s’est confirmée, même si depuis la loi du 21 février 2014 le vote blanc fait l’objet d’un décompte à part (sans aucune conséquence cependant sur le résultat de l’élection), après les débats post-électoraux, les personnels politiques de tous bords persistent à se féliciter d’avoir obtenu la majorité des voix de la minorité de ceux des électeurs dont le système électoral considère qu’ils se sont “exprimés”. Chacun des élus, ténor médiatique ou pas, ne peut aujourd’hui revendiquer l’adhésion que d’un électeur sur six, à son programme ou à sa personne ! Il fallait donc du fracas. Il y en a eu. Sera-t-il suffisant ?

On passe complétement à côté si on se contente de réformer le matériel électoral ou si on rend obligatoire le vote. On passe complétement à côté si on continue de pervertir les outils de démocratie directe, référendums d’initiative locale ou consultations nationales dans l’efficacité desquels les derniers naïfs ont grillé leurs illusions. On passe complétement à côté, comme on l’a fait avec les “gilets jaunes”, en ne retenant de leur expression que celle de cette minorité de casseurs professionnels, black blocs ou autres, en les réduisant au silence par la répression pénale ou en essayant d’en “récupérer” politiciennement les messages.

Demander à être pris en considération par ce silence assourdissant dans les urnes, c’est peut être ça la leçon à retenir ?

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