Un ver et contre tous
Depuis que les sols sont revenus sur le devant de la scène dans l’agriculture, après avoir été longtemps négligés, voir ignorés, les vers de terre ont largement gagné en considération. Portrait.
Enfouis dans le sol, les vers de terre contribuent en grande partie à sa fertilité. En creusant, ils développent tout un réseau de galeries qui permettent à l’air et l’eau de s’y engouffrer et de nourrir tout l’écosystème du sol, en particulier toute la vie microbienne, elle aussi capitale pour la fertilité. Mais leur rôle semble aussi majeur dans la dissémination des graines, partant, dans la composition des communautés végétales. Un rôle essentiel pour les prairies. Pour toutes ces qualités, le ver de terre est devenu l’emblème de l’agriculture de conservation des sols, celle qui préfère, quand c’est possible, leur travail silencieux et invisible à celui qui consiste à ficher chaque année profondément une charrue dans le sol. Le ver se nourrit de bactéries et de matières en décomposition, autant d’éléments qu’il rend au milieu une fois digérés. Il est capable d’engendrer jusqu’à 400 rejetons par an et peut vivre jusqu’à huit ans, s’il trouve, naturellement, à échapper à ses prédateurs. Ce sont des mets de choix pour les taupes, les musaraignes, les renards, les oiseaux, sans parler des reptiles et autres batraciens, en plus de la charrue et de la persistance des produits phytosanitaires dans les sols qui se retrouve largement dans les lombrics…
Nouveaux prédateurs

Mais une menace nouvelle a surgi, venue d’ailleurs : les vers à tête de marteau de la famille des bipaliiés qui gobent gastéropodes et vers de terre avec boulimie. Deux espèces de ces vers en provenance d’Asie sont pour l’instant recensées en France et une autre, Obama Nungara, en provenance d’Amérique latine. Cruel balancier de l’histoire, parce que les vers de terre n’existaient pas sur le continent nord-américain. Si l’on ne sait pas exactement comment ils ont pu traverser l’Atlantique, ils ont probablement été déposés avec les pierres et la terre qui constituait les ballasts des navires des colons avant de se répandre en bouleversant les équilibres d’alors en quelques décennies. Comme l’ont fait d’autres espèces invasives, les rats, les cochenilles qui ont laminé la végétation. Une fois sur place et sans concurrence, les vers européens ont phagocyté les feuilles mortes en privant plusieurs espèces de l’essentiel de leurs ressources alimentaires.
Glaciation
Mais si les vers européens ont bousculé l’écosystème nord-américain, il est faux de dire qu’il n’en existait pas sur place avant l’arrivée des colons, les vers étaient présents bien avant (juste avant, 508 millions d’années). Une étude récente a montré que les espèces exotiques représentent 23 % des 308 espèces de vers de terre du continent et 12 des 13 espèces de vers de terre les plus répandues sont d’origine étrangère. De quoi faire peser de vraies menaces sur les écosystèmes natifs. Par comparaison, aux États-Unis, seuls 8 % des espèces de poissons, 6 % des espèces de mammifères et 2 % des insectes et arachnides sont des espèces exotiques. Au Canada, la proportion de vers venus d’ailleurs est trois fois celle des vers locaux. Cela dit, une raison est avancée pour expliquer cette situation, c’est la dernière glaciation qui aurait conduit à la disparition des espèces locales dans le nord du continent. De quoi faire peser de vraies menaces sur les écosystèmes natifs.
4 000 km
Et puis, finalement, parler des vers de terre, c’est généraliser. Sachez que dans nos sols il en existe trois grandes catégories, les épigées, les endogés et les anéciques (qu’on appelle aussi lombrics) et que dans les terres les plus favorables, il s’en compte entre une et quatre tonnes à l’hectare. Ou 100 à 400 individus au mètre carré qui sont capables de creuser la bagatelle de 4 000 km de galeries sous une prairie. On trouve souvent entre 5 et 6 espèces différentes capables de cohabiter dans une même parcelle. En moyenne, on peut trouver une quinzaine d’espèces par site en zone tempérée et jusqu’à 60 en zone tropicale.
On découvre encore de nouvelles espèces, comme tout récemment en Bavière avec Helodrilus bavaricus. Une espèce endémique du secteur qui n’existe qu’en Bavière et nulle part ailleurs. Une espèce qui vient s’ajouter aux 50 déjà connues et répertoriées en Allemagne. Les adultes de cette nouvelle espèce ne mesurent que quelques centimètres et sont de couleur rose pâle. D’après leur apparence, il s’agit d’un ver de terre qui creuse à plat. Mais pourquoi cette espèce n’a-t-elle été découverte que maintenant ? Est-ce l’apparence discrète ou un mode de vie caché ? Non, répondent les lombricologues, car le genre Helodrilus est déjà très ancien. On suppose plutôt qu’il s’agit d’une relique de la période glaciaire, c’est-à-dire que l’espèce n’a pu survivre qu’au sein d’une petite zone sans glace dans le sud de la Bavière.
Mais globalement, aujourd’hui, tous les vers de terre ont du souci à se faire. Pourquoi ? À cause du changement climatique ! Leur survie et leur prospérité étant intimement liées aux précipitations et à la température, toute évolution, plus de chaleur, moins d’eau, vient mettre en péril leur survie. Une légende prétend que si les vers de terre n’ont pas d’os, c’est à cause de leur fainéantise. Mais la légende oublie de préciser que 250 000 vers peuvent brasser 600 tonnes de terre par an ! Sans bruit !
Yann Kerveno