Tricoter de l’art dans les campagnes [par Yann Kerveno]

Latour-de-France est dotée depuis plus d’un an d’un laboratoire d’art contemporain. Qui entend bien impliquer les habitants dans l’art et non d’en faire de simples spectateurs.

Les campagnes, souvent, voient les artistes débarquer en riant sous cape. On va moquer qui l’urbanité, qui l’excentricité, bref, difficile pour les artistes d’être des gens d’ici. Pour autant, c’est bien en Fenouillèdes que Laura Tortosa, espagnole, a tenu à venir s’installer pour fuir la crise économique qui frappait l’Espagne, laissant sur le carreau nombre de ses artistes et créateurs. En plus, Laura a pris le problème, si problème il y a, à l’envers. Elle n’est pas là pour faire de l’art, mais pour faire faire de l’art. “Quand nous cherchions un endroit pour atterrir, nous avons visité plusieurs régions avec ma collègue Maite Vroom. Nous cherchions un endroit où la culture et l’art, en particulier contemporain, ont du mal à pénétrer. Le Fenouillèdes est emblématique de ces territoires, la culture y vient, de manière ponctuelle, des concerts, des festivals, mais elle a du mal à exister au long de l’année.”

Tout le monde au tricot

L’autre originalité du projet qu’elle a installé à Latour-de-France, cela s’appelle le Laboratoire d’art contemporain du Fenouillèdes (LACF), c’est que les artistes n’y sont pas des vedettes que l’on honore entre deux petits fours. Ils viennent pour mouiller la chemise… “Ce qui nous importe, c’est de recréer du lien entre les générations dans ces petits villages, de recréer des liens entre les plus anciens et les plus jeunes, du lien social” explique-t-elle. Emblématique des actions menées depuis un an maintenant, tel est le Craftivism, anglicisme alliant les techniques du tricot et du crochet à l’activisme. Laura a transformé cela en l’opération “Tricot de rue” qui a rassemblé 17 personnes à Rasiguères, sur une population de… 200 habitants. Il s’agissait alors de tricoter avec des sacs-poubelles, qu’il a d’abord fallu découper et mettre en pelote… “Nous avons mis une semaine à tout préparer avant de passer au tricot proprement dit pendant trois jours. Les œuvres ont ensuite été exposées dans les rues de Rasiguères. Ce n’était pas très facile, les aiguilles étaient grandes mais les personnes les plus âgées ont la patience pour transmettre les techniques aux plus jeunes” sourit-elle en espérant pouvoir implanter l’action dans d’autres villages alentour.

Collaboratif

Le LACF s’est aussi donné pour mission de personnaliser les arrêts de bus des communes du Fenouillèdes, ou les endroits de rassemblement des villages, toujours avec l’aide précieuse des habitants qui y prennent goût. “Nous organisons aussi régulièrement des workshops avec des artistes que nous faisons venir jusque dans les villages. Et ce qui est important, c’est que l’artiste n’est pas là pour être l’unique producteur de l’œuvre.” Elle explique et détaille son idée avec les habitants qui veulent participer et ce sont eux qui vont créer l’œuvre sous la direction de l’artiste en quelque sorte. “Notre ambition c’est bien d’amener l’art contemporain en milieu rural mais pas pour le poser là. Avec nous, tout est participatif et collaboratif et se fait avec les habitants des lieux. Dernier en date à être venu travailler du côté de Latour, le photographe mexicain Fernando Escarcega a pu produire une série de clichés hauts en couleurs.”

Cours permanents

Et les projets ne manquent pas. Dès le printemps, de nouveaux workshop sont programmés, avec en particulier une compagnie de théâtre de Perpignan, Ricochet, pour un travail sur la mémoire, en mai, il sera question de videomapping, en juin c’est un autre artiste mexicain, habitué de la biennale de Venise qui viendra explorer le territoire… Et pour ancrer plus avant les pratiques dans la durée, le LACF organise des cours, payants au contraire de toutes les autres activités, pour les enfants ou les adultes, à Latour-de-France. Avec le soutien du département des Pyrénées-Orientales, la communauté de communes Agly-Fenouillèdes, la mairie de Latour et des fonds européens Leader. L’art contemporain ne remplace pas les médecins, dont Latour est privé depuis plusieurs mois, mais il permet de penser à autre chose.

Pour en savoir plus : https://lacf.fr

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