Ressources en eau dans les Pyrénées-Orientales : un enjeu et des équilibres ! [par Thierry Masdéu]

Avec un volume de prélèvements évalué pour les Pyrénées Orientales à 515 millions de m3 par an, la gestion collective de la ressource en eau, précieuse pour tous et destinée à tout usage, est plus que jamais au cœur des principales préoccupations.

Depuis quelques années la problématique de la réserve en eau brute et potable des P.-O. devient récurrente, notamment en période estivale. D’autant que sur certains secteurs géographiques, les épisodes caniculaires à répétition et durables sur plusieurs jours ont aggravé sérieusement la situation. Sans compter la fréquentation touristique de la saison, dont les 25 millions de nuitées avec une consommation moyenne évaluée à 166 litres jour par visiteur, représenteraient, à elles seules, un volume en eau consommée d’environ 4,15 millions de m3.
Un contexte à multiples facteurs qui a conduit progressivement la préfecture à mettre en place, dès le 25 juin, des mesures de restrictions sur les prélèvements en eau superficielles et souterraines. Niveaux de : “vigilance, d’alerte, d’alerte renforcée” ; si ces contraintes ne sont toujours pas levées, le Comité ressources en eau, instance de concertation qui a tenu respectivement sa cinquième et sixième réunion de l’été les 11 et 24 août (après bouclage du journal) en préfecture, a statué : aucune commune n’a été placée au niveau dit de “crise”. Même le bassin versant du Tech, le plus critique de tous qui, en l’espace de quelques heures a déclenché toutes les alarmes le 5 août dernier. “On a eu très peur pour ce secteur, car son seuil de crise correspond à un débit de 700 litres seconde, et ce vendredi là, il est passé à 50 litres seconde ! Fort heureusement, durant le weekend la situation s’est améliorée” témoigne avec soulagement Vincent Darmuzey, chef de service à la DDTM 66 au service Eau et risques, conscient de ce que cela aurait pu engendrer. “Si on suit la réglementation pure et dure, on aurait du basculer en crise pour ce secteur, mais on sait qu’il y a des enjeux économiques sur cette zone du territoire et notamment agricoles. Aussi, nous avons demandé aux agriculteurs d’être un peu plus volontaristes sur la réduction des tours d’eau sur le Tech.”

Le risque des pertes sur cultures

Un niveau de “crise” évité de justesse qui aurait déclenché un arrêté préfectoral interdisant l’arrêt de l’irrigation agricole, avec comme conséquence une perte des cultures pour les zones tributaires de ce point de ressource en eau. Si l’argumentation des instances agricoles (voir publication Agri du 12/08/2022), associée à l’engagement des gestionnaires des canaux d’irrigation de la zone (voir encadré “Extrait communiqué de presse de la préfecture du 12/08/2022″), et les prévisions météorologiques pluvieuses en approche ont pesé sur la décision de maintenir ce secteur du bassin versant du Tech au niveau “Alerte renforcée”, deux autres secteurs ont fait l’objet de nouvelles limitations.

Extrait du communiqué de presse de la préfecture du 12 août 2022

“… Au regard de cette situation, les gestionnaires de canaux d’irrigation de ce secteur (bassin versant du Tech) se sont notamment engagés à réduire encore leur consommation globale d’eau au-delà des obligations réglementaires et à améliorer le calendrier des tours d’eaux inter-canaux. La préfecture des Pyrénées-Orientales salue ces efforts et en appelle à la responsabilité de tous, et notamment des propriétaires des forages pompant les plus gros volumes dans les nappes, pour réduire encore les consommations, si possible en-deçà des obligations réglementaires.”

Cela concerne les eaux superficielles du bassin versant de l’Aude et les eaux souterraines du secteur “Côte Sud”. Dorénavant, et en application du code de l’environnement, les usages de l’eau pour les ressources qui sont dans les situations les plus tendues, soit 11 secteurs du département (voir carte), font l’objet des mesures suivantes :

• Sur les nappes des secteurs “Aspres-Réart”, “Tech” et “Têt” ainsi que sur les eaux superficielles du bassin versant du Tech, de l’Agly amont et de l’Aude, les mesures de restrictions mises en place, conduisent, pour les usages non essentiels, aux interdictions du niveau “Alerte renforcée”. Les usages agricoles y sont réduits de 50 % (voir détails ci-dessous).

• Sur les nappes des secteurs “Côte Nord” et “Côte Sud” ainsi que sur les eaux superficielles des bassins versants de la Têt amont, de la Têt aval et du Sègre, les mesures de restrictions misent en place, conduisent, pour les usages non essentiels, aux interdictions du niveau “Alerte”. Les usages agricoles y sont réduits de 25 % (voir ci-dessous).

• Les faibles niveaux piézométriques des autres secteurs de nappes, ainsi que les faibles débits constatés sur les autres bassins versants du département ont conduit à la mise en place de mesures du niveau “Vigilance” (voir ci-dessous).

Quand on reparle des retenues collinaires

Vincent Darmuzey, chef de service à la DDTM 66 au service Eau et risques

Qualifiée d’historique par les instances gouvernementales, cette sécheresse a fait ressurgir certains projets d’aménagement, comme les sempiternelles retenues collinaires pour le stockage des eaux de surfaces et de ruissellements. Une solution préventive pour l’irrigation qui pourrait finalement trouver une meilleure écoute. “Le principe d’une retenue collinaire, c’est qu’il faut que ce soit clairement identifié par un porteur de projet sérieux. Et que l’on soit en présence d’un programme collectif avec des actions qui démontreraient l’intérêt de cette retenue. Il n’y a pas d’interdiction mais il n’y a pas non plus d’aval, et cela pourrait être une bonne substitution à celle de pomper de l’eau dans les nappes du pliocène !” précise le chef de service de la DDTM 66/SER. “Et même, j’irais plus loin, si un projet se présentait dans cet objectif de substitution au pompage dans le pliocène pour x centaines, x milliers d’hectares qui seraient irrigués à partir d’une retenue collinaire, il pourrait très bien y avoir des financements de l’Agence de l’eau !”

Une issue qui semble envisageable pour pallier aux restrictions d’irrigation et qui emmène peut-être aussi une réflexion de fond à conduire sur l’utilisation optimale de l’ensemble des ressources existantes. Comme par exemple celle du lac de Villeneuve de la Raho, qui certes ne résoudra pas la totalité des restrictions, mais qui est actuellement sous utilisée pour les besoins en agriculture. Ou encore, comme le souligne Vincent Darmuzey, projeter l’utilisation d’une partie de l’importante ressource en eau du karst situé sous les Corbières. Une hypothèse que certaines collectivités du Nord du département envisagent sérieusement. “Il y a des communes qui ont encore un petit peu de marge pour se développer mais elles vont vite atteindre, dans quelques années, des limites à leur croissance. Aussi, pour sécuriser leurs eaux potables, elles effectuent actuellement des recherches pour évaluer comment pourrait être utilisée l’eau du karst en substitution du pliocène.” Même si le Syndicat des nappes du Roussillon semble constater une baisse de la consommation annuelle en eau par habitant, la gestion délicate du partage de cette ressource reste de toute évidence la priorité majeure au développement du territoire… 

Prélèvement annuel en m3, en eaux brutes et potables 

• Selon les chiffres communiqués par la DDTM 66/SER, l’activité agricole représenterait, toutes ressources confondues, 434 millions de m3 par an, dont 33 millions seraient issus des nappes, 275 millions de la Têt, 55 millions du Sègre, 49 millions du Tech, 21 millions de l’Agly et 1 million de l’Aude. 
• D’après les mêmes données du communiqué, les prélèvements d’adduction en eau potable représenteraient plus de 70,5 millions de m3 par an, dont 41 millions serraient issus des nappes, 12 millions de la Têt, 4 millions du Sègre, 9 millions du Tech, 3,5 millions de l’Agly et 1 million de l’Aude. 
• Suivant une étude plus récente communiquée par la DDTM 66/SER, la consommation moyenne journalière en eau par habitant serait estimée à 95 litres jour, avec pour les communes de la plaine une moyenne comprise entre 80 à 90 litres au quotidien, jusqu’à une moyenne journalière de 160 à 170 litres consommés par habitant pour les communes du littoral.

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