Quelle est donc cette hype du côté de Caramany ?
On dit le terroir loin de tout, mais c’est peut-être ce qui l’a protégé jusqu’ici. Et il ne se livre qu’à ceux qui osent et ne manquent pas de courage.
De la pente, du soleil, de la tramontane, s’il est bien un terroir qui sent la sécheresse à longueur d’année, c’est celui de Caramany. Pour le profane, maintenir de la vigne, et des cultures, dans ce coin relève de la gageure. Mais au contraire, c’est aujourd’hui un terroir qui attire des vignerons en quête de singularité. Il y a ce québécois, Charles Gauthier-Marcil, venu prendre racine sur les coteaux brûlants, ou ce vigneron du Nord, de la vallée de la Loire, David Loiret, venu du muscadet. Ils suivent la famille Modat, entre autres, et viennent s’échiner dans les vignes aux côtés de vignerons associés à la cave coopérative. Celle-là même qui reprit son indépendance voici quelques années après avoir été membre fondateur des Vignerons Catalans.

David Loiret (Domaine La part des anges) est arrivé en 2019, le prof de philo Charles Gauthier-Marcil (L’Atelier vigneron) en 2022. Et tous deux disent avoir eu, sinon un coup de foudre, en tout cas une grande attirance pour le territoire. « Je suis venu voir des vignes à vendre et le terroir m’a parlé, je voyais des gneiss magnifiques, ces parcelles en surplomb du lac. Je suis venu avec l’œnologue pour conforter mes intuitions mais je savais que cela valait le coup de mettre une pièce. C’est un terroir magnifique pour les syrah. »
« Un lieu fait pour faire du vin »
Il a aussi acheté une parcelle de vieux carignan, une centaine d’années peut-être, très en pente, où tout se fait à dos d’homme avec quelques pieds de blancs dedans qui donnent des idées. « Voir ce que pouvait donner le terroir sur ce type de vins, sans frou frou œnologique, juste laisser parler la minéralité. »

L’histoire de Charles Gauthier-Marcil est assez semblable. Après des études à Toulouse, en reconversion vers l’agriculture, il achète une vigne à Rasiguères, puis découvre Caramany, en cherchant une cave et de quoi se loger, y voit des vignes abandonnées… C’est le moment décisif, la naissance de L’atelier vigneron. « C’est un lieu fait pour faire du vin. Je suis tombé amoureux du terroir, des paysages. » Il achète des vignes et se met au travail avec l’idée d’en prendre soin différemment en vue de les transmettre en bon état à la génération future. « C’est un miracle que ces vignes soient arrivées jusqu’à nous, parce que le système, tel qu’il existait jusqu’à aujourd’hui, les a mises à mal, c’est la force des choses, les vignerons pouvaient difficilement faire autre chose à l’époque. » Lui aussi a trouvé une parcelle de vignes très anciennes, certaines ont probablement près d’un siècle et demi, « on y a trouvé plusieurs cépages, des grenaches bien sûr, du macabeu, du petit bouchet, de l’aramon, peut-être du cinsault… C’était une vigne promise à l’arrachage… » et ça lui fend le cœur, les vignes qu’on arrache.
Montée en gamme
« Mon objectif, c’était d’arrêter à cinq hectares, pour pouvoir tout faire tout seul, tout le projet était calibré pour ça. » Le problème, c’est qu’il ne peut s’empêcher de sauver ces vignes promises à la friche. « Avec ma compagne, Lucile, nous sommes maintenant à 9,5 hectares et elle va s’installer avec moi. » Sa façon de voir les choses lui a permis de remporter tout récemment le deuxième prix au concours Vignerons d’avenir, organisé par Advini. La dotation va lui permettre d’investir « dans du matériel qui me permettra de prendre soin de la vigne, pour la restaurer, une brouette à chenille pour amener de la matière organique, une motobineuse. » En plus de dompter ses nouvelles vignes et développer des vins remarquables, David Loiret s’est aussi engagé dans l’œuvre collective puisqu’il préside depuis quelques mois l’organisme de gestion des Côtes du Roussillon Villages. Venant du commerce du vin, il n’a pas repris l’entreprise familiale de Loire-Atlantique, il regarde le marché avec une grande acuité. Et plaide pour la montée en gamme dans les appellations… « On a de la chance dans ce département d’avoir, sur une toute petite surface, une grande variété de sols et de terroirs, avec même parfois des parcelles coupées en deux, il n’y a pas beaucoup d’endroits qui peuvent en dire autant. » Comme à Caramany en fait où, selon les expositions, ce sont des mondes complètement différents qui s’expriment.
Yann Kerveno