Produire local ? Oui mais…

Un rapport récent du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux s’est penché sur la question de la relocalisation en France d’une partie des productions de fruits et légumes aujourd’hui assumée par l’Espagne, l’Italie et le Maroc.

Pas facile. C’est la première conclusion qui vient à l’esprit une fois la lecture du rapport rédigé l’an passé et publié en mars dernier par Bruno Godet et Patrick Falcone. Non, rapatrier en France une partie de la production de tomates n’est et ne sera jamais une sinécure. Parce qu’en premier lieu, le constat est sans appel. Aujourd’hui la France importe la moitié des fruits et légumes (70 % des fruits et 30 % des légumes pour être précis) qu’elle consomme. Les auteurs restent fort prudents et rappellent que « si la France ambitionne de relocaliser certaines productions agricoles, il est toutefois important de noter que cela ne pourra se faire que de manière limitée et ciblée. (…) Certaines cultures comme l’olivier, l’amande ou encore les agrumes, pourraient être relocalisées en France, notamment dans le sud du pays, à condition de viser un marché de niche à haute valeur ajoutée. Ces productions, adaptées aux conditions climatiques méditerranéennes, offriraient de nouvelles perspectives pour les agriculteurs français, mais il est évident que cela ne suffira pas à combler les besoins globaux de la France en fruits et légumes. »
L’occasion est d’autant plus intéressante, pour les partisans de la relocalisation à tous crins, de fournir cet effort que nos trois principaux fournisseurs sont en proie aux conséquences du changement climatique. Le Maroc, qui nous expédie 500 000 tonnes de fruits et légumes (tomates, agrumes) par an souffre du manque d’eau, au point que le gouvernement a cessé de financer les projets d’irrigation. Situation identique en Espagne, notre premier fournisseur (fraises, melons, pastèques, salade, pêches et nectarines), qui, en plus, des contraintes climatiques, commence à être en butte à des soucis de main-d’œuvre ; en Italie (400 000 tonnes de kiwis, poires, raisins, légumes ratatouille…) où les éléments se déchaînent ces dernières années pour anéantir les efforts des agriculteurs.

Alors, ramener les productions en France peut se révéler une bonne idée. Sauf que, comme toujours, ce n’est pas aussi simple ! Parce que le contexte climatique change aussi chez nous, notamment dans le Sud comme l’a montré une étude sur les productions fruitières menée dans 26 départements français. D’ici 2023, on attend + 1,2° de température moyenne, un risque de gelée printanière accru (dans les trois quarts des départements concernés), un bilan hydrique en recul de 38 %, un rayonnement solaire en augmentation de 4,2 % avec, écrivent les auteurs, un risque de brûlure des fruits.
La marche est haute mais plusieurs pistes sont proposées : le renforcement de la salade, dont la production devient plus risquée en Espagne notamment, ou encore l’arachide pour les cultures de plein champ. Sous serre, les évolutions sont plus « simples » à envisager dans la mesure où elles portent essentiellement sur le matériel (sources d’énergie), même si des diversifications sont tentées sur l’aubergine et les poivrons. En arboriculture, l’amandier, l’olivier, les agrumes sont cités mais avec un handicap, la nécessité de construire une filière complète en partant quasi d’une feuille blanche.

Mais il faudra aussi compter avec les réactions des trois pays concernés, quand on sait par exemple que l’agriculture intensive représente 14 % du PIB du Maroc et 40 % de la main-d’œuvre salariée du pays : « (…) rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que ces pays envisagent de renoncer de manière significative à des productions de fruits ou de légumes. Les autorités et les professionnels du Maroc, d’Italie et d’Espagne ne s’inscrivent en aucun cas dans des stratégies de rupture, mais bien dans des stratégies d’adaptation qui leur permettent de continuer à développer leurs productions moyennant des ajustements » écrivent en conclusion Bruno Godet et Patrick Falcone avant d’inviter tout le monde à se retrousser les manches et de ne pas miser sur les éventuelles difficultés de nos fournisseurs pour tracer notre propre destin. 

Yann Kerveno

De grandes disparités selon les produits

Nous produisons 58 % des tomates que nous consommons, 54 % des pêches et des nectarines, 75 % des abricots, 72 % des concombres, mais seulement 33 % des kiwis, 45 % des courgettes, 39 % des aubergines, 19 % des poivrons, 60 % des melons… Seuls trois produits dépassent un taux d’autoapprovisionnement de 80 % : la pomme, le poireau et l’oignon. En 2021, un cabinet avait calculé combien il faudrait mobiliser de surface agricole utile pour produire ici (les fruits et légumes que le climat nous autorise) ce que nous achetons ailleurs. Pour arriver à la conclusion qu’il fallait déployer 125 000 hectares de cultures fruitières et 53 000 hectares de cultures maraîchères, soit 2 % de la SAU. C’était un travail instructif mais purement théorique, loin des projections plus mesurées du Plan de souveraineté de la filière des fruits et légumes de 2023 qui propose d’augmenter le taux d’autoapprovisionnement de la France en fruits et légumes de 5 points d’ici 2030 et de 10 d’ici 2035 pour atteindre 60 %.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *