Pourquoi sommes-nous si tristes ce soir … ? (Par J-P Pelras)
Peut-être parce que nous avons perdu un ami, un gars qui nous rassurerait quand il débarquait entre deux cascades, sans une égratignure, sourire aux lèvres, le flingue en bandoulière, la casquette un peu de travers, la bagnole dézinguée, la phrase qui claque, le regard de celui qui ne s’inquiète jamais.
Il était, un peu par procuration, tout ce que nous aurions aimé être ; insolent, bagarreur, charmeur, alpagueur, voleur, tendre voyou, morfalou, incorrigible, solitaire tel un singe en hiver. Il était la France des DS, des 2 Chevaux, des Renault 5 et des Ford Mustang, la France des contrastes, un peu flic, un peu truand. La France qui tape avant et discute après, la France qui fonce et ne déçoit jamais. Il était celui qui, de Gabin à Bourvil en passant par Delon, Deneuve, Girardot, Constantin, Lelouch, Audiard, Melville, Godard ou Deray a offert au cinéma français son flegme, son panache et l’insouciance de ses plus belles années. Il est celui qui restera l’éternel partenaire de la belle Jean Seberg, qui donnera la réplique à Jeanne Moreau dans « Moderato cantabile », à Ursula Andress dans « Les tribulations d’un Chinois en Chine » à Marie Laforêt et à Sophie Marceau dans « Joyeuses paques ». Nous n’étions pas nés ou bien nous avions dix ans …, quand il courait sur le toit d’une rame de métro en plein Paris, quand il est León Morin prêtre, quand il croise lors d’un Week-end à Zuydcoote, Catherine Spaak sous les bombardements…
A l’heure où nous sommes quelques-uns à ne plus supporter notre époque, le départ de L’homme de Rio nous laisse comme assis dans le vide avec une mémoire veuve. Peut-être parce que nous avons eu la chance d’aimer ce cinéma qui avait de la gueule, qui savait suggérer sans imposer, qui savait séduire sans tricher.
Ce soir la France est un peu à bout de souffle. Un peu désemparée. Elle a perdu son Magnifique. Et nous prenons la mesure de cet itinéraire qui n’était peut-être pas celui d’un enfant gâté, mais qui était certainement celui que nous avons, chacun à notre façon, voulu un peu emprunter.
Très joli hommage. Vous avez tout dit ! C’est un peu de notre jeunesse qui part… il y a des personnes qu on aimerait garder toujours, qu on pense immortel…