P.-O. : des vins effervescents à 1 250 m d’altitude [par Yann Kerveno]
Hervé Sabardeil et ses associés Vincent Ginestet et Gilles Blanc, aiment les défis, enfin, au moins les challenges, histoire de ne pas s’ennuyer. Et le dernier en date est costaud à relever. Ils ont décidé de planter de la vigne et de faire des vins effervescents en… Cerdagne.
C’est une histoire qui aura pris des années, entre l’éclosion de l’idée et la première dégustation. Pas loin d’une décennie. Aujourd’hui, alors que l’automne plante ses banderilles de fraîcheur de bon matin, les plantiers sont tout juste sortis de terre et se préparent à passer leur premier hiver du côté de Saillagouse, à 1 250 mètres d’altitude. Alors ce n’est pas une première dans le secteur, il existe déjà des vignes à Sainte-Léocadie et à Llívia, mais le projet est autre. Tout a été pensé, calculé, pour la réussite. À écouter Hervé Sabardeil, œnologue vigneron, on se rend compte que rien n’a été laissé au hasard, pas le moindre détail et que les trois hectares plantés pourraient presque faire rougir une station expérimentale.
“Ce n’est pas évident d’imaginer cueillir du raisin en Cerdagne” résume-t-il, “il y a une foule de paramètres à prendre en compte pour réussir.” Et le vigneron d’énumérer les écueils. “Il faut d’abord trouver des terres disponibles et cela, c’est très très compliqué là-haut. Il m’a fallu quatre ans pour trouver les quatre hectares de terres dont j’avais besoin, j’ai même été à deux doigts de renoncer.”
Chardonnay et pinot
Ensuite, il faut que les terres soient propices à la vigne. C’est-à-dire exposées plein Sud, avec un peu de pente pour “laisser glisser le froid.” “Nous avons travaillé sur la composition du sol, creusé des tranchées jusqu’à trois mètres de profondeur pour voir ce qu’il y avait dessous, effectué un examen de toute la parcelle avec des méthodes radiographiques utilisées par les archéologues pour avoir le profil le plus précis possible.”
Il a fallu ensuite plancher sur le matériel végétal et ne pas manquer son coup. “Nous avons planté du chardonnay et du pinot, à haute densité, 6 600 pieds à l’hectare, sur trois hectares au total.” L’ensemble est composé de sept parcelles de chardonnay et deux de pinot avec deux porte-greffe différents, cinq clones de chardonnay et deux de pinots. De façon à ce que la vendange soit étalée, qu’elle ne se bouscule pas puisqu’il est prévu qu’elle se fera à la main. Il a aussi fallu penser au climat, naturellement avec un cycle végétatif complètement bousculé par l’altitude et les températures…
Protéger contre les cervidés
“Je pense que le cycle végétatif sera deux mois plus court que celui que nous pouvons avoir en plaine, à moins de 10° la vigne ne pousse pas” rappelle-t-il. “Et cette année on a eu des 6 ou 8 degrés jusqu’à la mi-juillet…” Mais les risques sont bien présents, le gel, jusqu’à la mi-mai, et la grêle, début août. “Pour le gel, nous allons tenter de gérer avec une taille tardive pour repousser le démarrage de la végétation.” Pour la grêle il a fallu qu’il réfléchisse un moment avant de trouver le bon système de filets… “Mais la solution retenue est suffisante, nous avons eu deux ou trois passages de grêle cet été sans dommage.”
Autre calamité à envisager : les cervidés ! “Là, nous avons trouvé un système de clôture, avec l’aide financière de la Fédération de chasse, qui permet aux animaux de ne pas s’accrocher les bois dans les clôtures. Je ne voulais pas trouver un animal empêtré et il était obligatoire de protéger les vignes, surtout les plantiers !” Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il a aussi fallu penser à l’eau, à la possibilité d’irriguer “parce qu’il ne pleut pas forcément beaucoup en Cerdagne, parfois moins qu’en plaine.” L’ensemble des parcelles est surveillé par une station météo et des capteurs pour mesurer l’humidité, en particulier sous les filets…
Vendanges de fin octobre !
Après ce premier été à “regarder la vigne pousser” les premières gelées sont venues apporter quelques éléments supplémentaires. “Nous attendons l’aoûtement, cela vient de commencer et on voit bien les différences d’avancement entre les clones, c’est intéressant” explique-t-il. Quand les vignes porteront des raisins, les vendanges seront programmées en principe à la fin du mois d’octobre. Mais il reste beaucoup à apprendre, cerner. “Avec un cycle végétatif aussi court, il va falloir trouver un bon équilibre entre la surface foliaire et la charge des ceps pour compenser.” Et parvenir à atteindre la maturité souhaitée. “Mais au-delà du challenge technique, c’est passionnant intellectuellement”.
Avec les raisins de ces trois hectares, Hervé Sabardeil et ses associés produiront des vins effervescents qu’ils espèrent pouvoir faire déguster dans quatre ans. D’ici là, ils auront juste le temps de construire un chai pour les vinifications !