On manque de porcs dans les Pyrénées-Orientales [par Yann Kerveno]

La Coopérative catalane des éleveurs veut développer la production porcine avec un modèle différent de ce qui se fait en Catalogne Sud ou en Bretagne. Les ateliers cochons, sur paille ou en plein air, viennent en diversification.

Les chiffres, comme les faits, sont têtus. 20 000 porcs abattus dans les Pyrénées-Orientales chaque année. Moins de 3 000 produits dans le département. C’est parce qu’il existe un réel potentiel que la coopérative des éleveurs souhaite développer une production locale de porcs. Mais attention, on n’est pas là en face du modèle breton ou catalan du Sud, non c’est une filière différente, avec une marque, Tirabuxo qui se décline en deux parties, une pour les porcs élevés en plein air (un tiers des porcs abattus) et une pour les porcs élevés en bâtiment sur paille. “Pour l’instant, nous comptons cinq producteurs dans le département, trois en bâtiment sur paille et deux en plein air” précise Stéphane Guasch de la Coopérative catalane des éleveurs. “Nous avons quelques projets d’installations, deux en cours et d’autres au stade de simples projets, nous aimerions pouvoir concrétiser cinq à six installations d’ici cinq ans.”

L’originalité de la démarche c’est que ces projets de création d’élevage se font dans le cadre de la diversification des exploitations et non comme production principale, en particulier de la production bovine. À Nahuja, Bruno Majoral fait partie de ces candidats à la production porcine, en diversification des bovins qu’il élève depuis son installation il y a 20 ans. Seul sur son exploitation avec 130 mères, passé en bio depuis 2015, il n’a guère le temps de chômer et emploie, de loin en loin, un saisonnier quand la charge de travail devient trop importante.

Projet déplacé

Basculer dans la production de cochon lui offrirait deux opportunités : baisser un peu la taille du troupeau pour arriver à une centaine de vêlages par an et pouvoir embaucher quelqu’un de façon permanente sur l’exploitation. Et pourquoi le cochon ? “Parce qu’il n’y a pas les contraintes de la Politique agricole commune, il n’y a pas d’aides, pas de subvention, tu es beaucoup plus indépendant” indique l’éleveur cerdan. Il pointe aussi du doigt les inquiétudes qu’il a face au changement climatique. “Il fait de plus en plus sec, c’est problématique pour les fourrages.” Et puis il y a la question de l’âge, à 43 ans, Bruno Majoral sait que les choses sont graduellement plus difficiles à mesure que l’on vieillit.

Son projet remonte à deux ans, pour un bâtiment sur paille, sans lisiers, donc quasi sans odeur, de 700 mètres carrés prévus pour engraisser des bandes de 450 porcs. Mais ce projet a fait jaser, il était trop près de la route, le bâtiment se serait vu, les voisins ont émis des protestations. “Alors j’ai pris la décision de retirer mon permis de construire et de déplacer le projet de bâtiment un peu plus loin, à 250 mètres du village et de déposer une nouvelle demande de permis de construire.” Ce qui n’a pas eu l’heur de faire baisser la mobilisation, les “opposants” à l’élevage, ils sont une trentaine, se sont réunis en collectif et ont notamment alerté la presse locale. “Ils sont contre la porcherie, les pollutions, les bruits, parce qu’ils s’imaginent une porcherie comme en Espagne et de toute façon, discuter avec eux, apporter des explications, ça ne sert à rien, ça ne donne rien” regrette l’éleveur.

Une filière entièrement occitano-catalane

Ils peinent à reconnaître la spécificité de ces porcs. Les cochons élevés dans les Pyrénées-Orientales pour la marque Tirabuxo sont en effet assez différents, plus vieux, plus lourds, plus grands, ils sont un peu à côté des standards mondiaux. “Les porcelets arrivent dans les élevages entre 40 et 50 kg puis ils sont poussés jusqu’à 140 à 160 kg en vif, soit 120 ou 130 kg de carcasse” précise Stéphane Guasch. Si la finition est donc réalisée dans les Pyrénées-Orientales, les porcelets proviennent eux d’un éleveur aveyronnais qui a sélectionné ses propres animaux en associant plusieurs races, le piétrain, le duroc et les traditionnels cochons roses, Large White x Landrace… Un schéma qui permet d’avoir des porcs plus rustiques et aussi plus gras. “En tout cas, l’ensemble de la filière est occitane” précise-t-il. “Les aliments sont fournis par Arterris qui a développé une formule spéciale, sans OGM, pour cette production de Tirabuxo.”

En attendant la décision concernant son permis de construire, Bruno Majoral a le temps de penser à ses voisins. “Ces opposants sont surtout des gens venus en retraite, ou d’autres qui viennent en vacances pour trouver la tranquillité. C’est bien gentil mais moi je travaille et j’ai toujours travaillé ici.” Et puis aussi un peu plus loin il y a le “lotissement des Espagnols…” Chronique habituelle du monde rural. “Ok, ils viennent en vacances pour se reposer, mais moi je travaille, et quand ils font la fête jusqu’à 4 heures du matin avec la musique, ils se demandent si moi je dois me lever pour aller bosser ?” Avec deux éleveurs de plus installés, la coopérative pourrait compter sur 1 500 à 2 000 cochons supplémentaires par an pour satisfaire ses marchés.

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