Murailler caladeur, métier d’avenir
À l’heure de l’éco-construction et des réflexions autour d’une architecture durable, la pierre sèche a le vent en poupe. Pablo Font Escoffet, murailler depuis plus de 10 ans, ne dira pas le contraire.
À Céret, on rencontre Pablo dans un chantier pas comme les autres. Ici, pas de bétonnière, de sable ou de mortier, pas de bâche plastique ou de groupe électrogène. Seulement quelques fils qui épousent la courbure du mur, un marteau pour fendre le schiste et c’est tout ! Travaillant à un rythme soutenu depuis des années, l’artisan observe l’évolution de sa profession jusqu’alors peu connue.
Du commerce a la vieille pierre
« Depuis tout petit, je suis fasciné par l’architecture ancienne, j’ai même fait deux ans d’étude d’archéologie à l’université ! » raconte fièrement celui qui exerce aujourd’hui un métier que presque tous nos anciens connaissaient : murailler. Tout n’était pourtant pas gagné pour ce passionné, qui, 25 années durant, a travaillé dans le textile : « j’ai précipitamment dû arrêter mes études pour travailler avec mon père. J’ai donc été dans le commerce international de tissu, une grande partie de ma vie. »
À la cinquantaine, en 2012, l’espagnol franchit la frontière et change de vie en France : « je me cherchais un peu professionnellement… J’ai fait un an et demi de guide patrimoine, mais ça ne m’a pas passionné, je voulais travailler de mes mains. Du coup, j’ai décidé de retourner vers ma passion pour la pierre et le bâti : je suis allé me former en tant que murailler dans la Drôme, région dans laquelle j’ai travaillé pendant sept ans. Je restais quand-même mobile : J’ai pratiqué des travaux un peu partout dans le sud de la France, en Corse, en Catalogne, en Provence… » Avec plus d’une quarantaine de chantiers à son actif, Pablo s’est forgé une réputation. En plus des murs qu’il construit en France, en Espagne et en Italie, il forme des curieux et des professionnels à la pratique de la pierre sèche.
Le beau geste
En observant attentivement un ouvrage en pierre sèche, qu’il s’agisse d’un modeste casot ou des réseaux de murs qui serpentent dans toute l’Occitanie, on se rend vite compte de la précision qu’exige l’ouvrage. Dans leur épaisseur, les murs de soutènement doivent bénéficier d’une légère inclinaison vers la terre (on parle du « fruit »). Aussi, et c’est ce qui fait l’intérêt de ce type de construction, les pierres qui le constituent doivent avoir des formes et des tailles qui s’épousent parfaitement, comme l’explique Pablo : « Il faut toujours garder à l’esprit de serrer le joint, croiser les pierres, en laissant quand-même les interstices qui font que le mur “respire” – c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la pierre sèche, parce que le mur va laisser passer l’eau et permettra à la terre qu’il soutient de dégonfler en cas de grandes pluies, ce qui n’est pas le cas des murs en béton. »
Regain d’intérêt
Avec les exigences autour du bâti durable, la pierre sèche se fraye un chemin dans la constructios paysagère. Murs de séparation, de soutènement, cabanes de jardin, rénovations… L’artisan catalan, de son côté, enchaîne les commandes : « Depuis que j’ai commencé, je n’arrête pas ! Disons que j’ai en moyenne une semaine de battement entre chaque, et ce, depuis plusieurs années. Après, j’ai bien conscience que je fais partie des chanceux. J’ai tellement de demandes en ce moment que je dois en passer aux collègues ! »
Pour le caladeur, cette demande s’explique de plusieurs façons : « C’est souvent parce qu’ils ont déjà les murs en pierres sèches chez eux et qu’ils veulent que la restauration soit dans la continuité du bâti ancien déjà présent. Un choix esthétique, donc. Ça peut être aussi des propriétaires qui prennent conscience de la durabilité et du côté écologique des murs faits de cette façon. Je trouve qu’il y a vraiment une prise de conscience ces dernières années – et puis ce n’est pas plus cher que de faire construire des murs en béton. » Avec, comme on le voit depuis plusieurs années dans les Pyrénées-Orientales, une repopulation des villages ruraux, on peut supposer que Pablo a encore de belles années de travail devant lui.
Samy Celik

Une fédération au service d’un patrimoine vivant
Fondée en 2012 à la demande du ministère de l’Écologie et du Développement Durable, la Fédération française des professionnels de la pierre sèche (FFPPS) est un réseau national qui rassemble les acteurs de la filière pierre sèche, du niveau local au national. Organisation fédératrice, la FFPPS regroupe nombre d’acteurs : artisans muraillers, architectes, paysagistes, carriers, collectivités territoriales, chercheurs, agriculteurs, vignerons, centres de formation, associations du patrimoine et structures d’insertion. Elle œuvre pour divers objectifs, comme la reconnaissance du système constructif en pierre sèche et de la spécificité du savoir-faire qui y est lié, le développement d’animations et d’ateliers thématiques, et la sensibilisation autour de ce précieux patrimoine.
Une des grandes missions qui focalise aujourd’hui l’attention des artisans de la fédération est la transmission du savoir, comme l’explique Pablo : « On fait des formations qualifiantes en France et en Espagne. On propose trois niveaux : initiation, pour les amateurs qui veulent découvrir des techniques de bases ; professionnel, pour les gens qui travaillent déjà en proximité de la construction ; et compagnonnage, qui offre des compétences très précises et poussées. »