L’ombre des grands prédateurs [par Yann Kerveno]
Un ours à Marialles, un ours dans les gorges de la Carança, un ours suspecté d’avoir attaqué les troupeaux du côté de Dorres, un loup à Llo. Si le département n’est pas sous une pression intense des grands prédateurs, l’inquiétude règne.
À Llo, Jérôme Comas en a marre. Vraiment. Il se retrouve littéralement coincé et ne trouve pas de solution. Son exploitation, presque déjà dans l’estive, est traversée par une route et un sentier emprunté par les touristes et randonneurs. Son troupeau de brebis est composé de 200 animaux pour partie dispatchés sur l’estive de Puymorens. Mais une partie est conservée sur l’exploitation durant l’été, dans deux parcs, un électrifié, l’autre pas. Un patou assure une surveillance complémentaire.
Le cadre posé, surgissent les problèmes. La cohabitation entre le patou et les promeneurs n’est pas toujours facile. “Alors peut-être que je ne fais pas tout bien avec le chien, j’essaye de faire en sorte qu’il ne se balade pas n’importe où, mais peut-être aussi que les randonneurs ne respectent pas tous les règles, qui sont pourtant affichées partout.” Pour limiter les risques, début juin, il a enfermé le patou dans le parc électrifié avec les brebis, une autre partie restant dans l’autre parc, sans électricité et sans chien. “Et là, ça n’a pas raté, j’étais à mon travail à la coopérative quand un ami m’a appelé pour me dire que c’était le loup qui gardait mes brebis !”
Les vautours en plus
Résultat des courses, deux agneaux dévorés et cinq brebis disparues, jamais retrouvées. “Et ça, c’est un problème parce que si on ne retrouve pas les animaux, ils ne sont pas indemnisés. En plus, là, c’était proprement effrayant, on a les photos, le loup était sur l’agneau et les vautours étaient sur le loup” explique l’éleveur. “Et ces oiseaux sont capables de nettoyer un cadavre en quelques minutes. Alors quand l’Office de la biodiversité, que nous prévenons pour qu’ils fassent les constats à chaque attaque, nous dit qu’ils ne pourront passer que le lendemain et qu’il ne faut pas toucher au cadavre… Il n’y a pas un problème quelque part ?” Soulevé par Jérôme Colas, ce problème n’est pas le seul.
Président de l’association des groupements fonciers pastoraux dans les Pyrénées-Orientales, association qui regroupe les estives, Olivier Gravas se montre aussi agacé. “Les informations ne circulent pas, c’est trop long, on ne peut pas s’organiser, mieux se protéger en prévenant les éleveurs de la présence d’un animal” regrette-t-il en substance. “Il y a cette présence aperçue de l’ours du côté de Marialles, c’était en juillet. Depuis on n’a pas eu d’information. J’ai des brebis sur ce secteur-là. D’habitude, mon troupeau est surveillé par un berger jusqu’au 15 août, parce qu’après, le troupeau peut-être autonome. Cette année, avec cette présence éventuelle de l’ours, j’ai prolongé le berger jusqu’à la fin août. Mais s’il y a une attaque après ?” Avant de pointer du doigt certaines incohérences.
“On cherche la meilleure solution”
“On nous oblige à nous protéger, nous sommes d’accord. Nous mettons donc en place des patous qui sont là pour défendre les troupeaux. Mais si un patou bouffe un randonneur, qui sera responsable ? À qui on envoie la facture ?” Pour l’éleveur de Thorrent, il y a aussi un manque de considération. “Dans ce dossier, personne ne prend en compte notre apport à la biodiversité par l’entretien des espaces naturels, on a l’impression que seul le loup incarne la biodiversité… Et ça ne coûte pas cher au ministère de l’Environnement parce que c’est la PAC qui règle des factures.”
Ce manque de considération de la part de l’administration fait aussi bondir Jérôme Comas. “On a les photos et ce qu’on entend dire c’est qu’on « n’est pas sûr que ce soit le loup ! »” s’insurge-t-il. “On cherche la meilleure solution, avec la mairie, dans l’élevage, mais pour l’instant on ne l’a pas” ajoute-t-il. “Je considère que ce loup pose problème parce que chaque fois qu’il y a un défaut dans la protection de mon troupeau, que le patou n’est pas là, il rapplique pour se servir. L’an dernier, j’avais enfermé la chienne pour qu’elle mette bas, ça n’a pas manqué. J’ai une attaque par an depuis qu’il est là. On me dit qu’il est vieux, qu’il boite, mais il est toujours là !” Et les randonneurs aussi.