Lettre ouverte d’un vigneron d’appellation d’origine contrôlée et président d’une ODG d’appellation
Quel vigneron ne se féliciterait pas d’une nouvelle démarche marketing et commerciale ambitieuse pour la viticulture roussillonnaise, dans ces temps si moroses ! La lecture de l’article de l’Agri du 10 novembre 2022 sur la création d’une marque ombrelle d’un important et incontournable metteur en marché du Roussillon aurait pu mettre du baume au cœur au producteur et responsable syndical de la filière viticole que je suis. Mais non et bien au contraire ! C’était sans compter sur l’argumentaire du consultant et instigateur de cette conceptualisation qui se veut dans le “move” ou plutôt dans le vent. S’appuyer sur la nécessité de ne rien s’interdire et sur l’apologie de la liberté absolue peut certainement légitimer la création d’une nouvelle marque (en tout cas, c’est le travail du marketeur qui en fera la preuve). Mais l’opposer frontalement aux appellations du Roussillon, c’est faire fi d’un savoir-faire et du travail des vignerons fiers de leur terroir et de leurs produits.
D’aucuns diront : c’est une réussite de lancement car tout y est : transgression, provocation et émancipation. Cependant, construire un argumentaire marketing sur les éventuelles cendres des appellations de notre vignoble pourrait affaiblir l’essence même du nouveau produit.
Non, monsieur le consultant, nos appellations ne sont pas “négativement discriminantes pour les vins” !
Sachez qu’une appellation, c’est avant tout une marque, une marque collective qui appartient à l’ensemble des vignerons ; elle est l’expression d’un territoire, d’une histoire humaine, d’un climat et des conditions de production. Et surtout, elle concrétise un engagement de tous les instants pour le producteur qui s’astreint à respecter le cahier des charges qu’il a choisi.
Vous doutez de la pertinence de nos appellations pour créer de la valeur : pléthore d’exemples pourraient venir gommer vos doutes, sans avoir besoin de sortir des frontières de l’Occitanie.
Vous pensez que ce sont les marques qui portent de grands vins. Si cela s’avère probant en dehors de l’hexagone, qu’en est-il sur notre territoire ? Permettez-moi d’être un peu chauvin en m’interrogeant sur les expériences de marques qui auraient écrit l’histoire des vins en Roussillon !
En positionnant ainsi votre marque avec des vins de cépage ou des vins de France, vous voulez balayer des décennies de travail pour dessiner le vignoble roussillonnais mais, plus déstabilisant encore, vous remettez en cause ouvertement 50 ans d’investissement dans la promotion et la communication sur nos terroirs d’expression et d’identité.
Jean Philippe Mari