Lettre à Éric Piolle, maire de Grenoble, qui veut changer l’agriculture Française [Par Jean-Paul Pelras]

Monsieur,
vous avez récemment déclaré, dans le cadre de votre candidature aux primaires de EELV, vouloir créer 120 000 emplois en agriculture et 25 000 fermes communales agro-écologiques. C’est à se demander comment le monde paysan n’a pas croisé votre chemin plus tôt. Car depuis que les écologistes s’intéressent à l’agriculture, sans forcément savoir ce qu’il en coûte de la pratiquer, ce secteur d’activité semble livré à lui-même, comme incapable de pouvoir gérer sa propre destinée. Le salut champêtre, celui qui emprunte forcément à la providence pour ne pas dire à l’opportunisme, nous viendrait donc de Grenoble avec un maire qui, à défaut d’être qualifié pour traiter la question, sait ce qu’il y a de mieux pour sauver vignes, vergers, jardins, troupeaux et moissons. Quand on sait qu’une vie ne suffit pas au paysan pour arpenter toutes les facettes de son métier, comment, à bien y regarder, un élu, autrefois spécialisé dans la gestion des risques financiers, peut-il prédire l’avenir d’un secteur qui lui est étranger ?
Car, voyez-vous monsieur Piolle, au-delà de cette stigmatisation quasi systématique dont les environnementalistes font preuve à l’égard du monde agricole, il faut déplorer cette ingérence de plus en plus prégnante qui caractérise votre mouvement. Comme si les agriculteurs n’étaient pas suffisamment compétents ou expérimentés pour gérer leur quotidien. Comme si leurs champs étaient devenus votre terrain de jeu, celui où vous pouvez conduire vos expériences, développer vos projets, asseoir votre condescendance à l’égard de ceux qui, depuis la nuit des temps, servent, aux caprices politiciens, de variable d’ajustement.
Vous proposez 25 000 fermes. Et pourquoi pas 250 000 ? Avez-vous seulement passé un mois, une année, une vie… à essayer de faire pousser quoi que ce soit, en essayant de tenir face aux caprices des éléments, face aux maladies qui, de surcroît, grâce aux écologistes, sont privées de traitements, face aux contraintes administratives ubuesques que vos lubies et vos normes font prospérer, face à ce pouvoir d’achat qui n’autorise plus personne à rêver, face au joug des importations qui laminent la plupart de nos productions ?
Plutôt que de vouloir dessiner une nouvelle agriculture française, allez donc passer quelques temps à la frontière franco-espagnole et regardez ce que contiennent les 25 000 camions qui transitent chaque jour par les Pyrénées, avec des marchandises importées venues d’Andalousie ou du Maroc qui n’ont rien de très environnementales, qui ne s’embarrassent pas de considérations sociales. Allez contrôler sur tous les ports de l’hexagone la provenance de ces denrées qui obligent nos paysans à baisser pavillon car la géopolitique ne cesse de les condamner. Quand le problème, monsieur Piolle, ne vient pas de ce modèle agricole français que vous blâmez, il vient de ces compétitions déloyales que les gouvernements successifs ont cautionnées. Quand l’acharnement des écologistes envers les agriculteurs de notre pays ne fait qu’exacerber ce déséquilibre, quand nous sommes les meilleurs élèves d’une école où, paradoxalement, nous ne serons bientôt plus ni acceptés, ni invités.
Oui, monsieur le maire, attaquez-vous, non pas avec des promesses électorales mais avec des actes qui nécessitent du courage, à cette question qui ne relève ni de la dinette, ni du bricolage, ni de toutes ces gentilles idées qui, à défaut d’aider les paysans, vont les marginaliser, les réduire à leur portion congrue dans un ersatz de marché idéalisé. Celui qui ne pourra jamais suffire à nourrir, 365 jours par an, 70 millions d’individus.
Avez-vous pris la mesure du risque encouru ? Avez-vous pris la mesure de la dépendance alimentaire que pourrait susciter l’abandon programmé de 30 millions d’hectares cultivés grâce au “productivisme” que vous dénoncez ? Pensez-vous que l’agriculture puisse employer 120 000 personnes supplémentaires quand les exploitations ne trouvent plus de main d’œuvre pour travailler, quand, dans le Midi de la France, certaines ont dû, encore cet été, faire appel à des intérimaires étrangers pour pouvoir récolter.
À moins de s’inspirer du woofing, cher à Pierre Rabhi, où le travail est gratuit, la plupart des agriculteurs savent aujourd’hui que pour faire tourner une exploitation et, charges salariales obligent, diminuer leurs coûts de production, la mécanisation et la technicité demeurent leurs seules alliées.
Enfin, pensez-vous un seul instant que les paysans puissent accorder la moindre confiance à ceux qui les critiquent en permanence, en leur imposant des normes sur les produits phytos, sur les engrais, sur la gestion de l’eau, en suggérant la fin du soutien aux productions que vous qualifiez d’intensives car elles n’obéissent pas à vos idéaux, en leur imposant la présence de l’ours et du loup qui déciment les troupeaux. Quand, en définitive, votre programme vise moins à aider 400 000 agriculteurs qu’à endoctriner 67 millions de consommateurs-électeurs.

Cette lettre a été diffusée sous forme de tribune dans le journal Le Point le 25 août 2021.

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