Lettre à Amélie de Montchalin à propos de l’entre-soi parisien [par Jean-Paul Pelras]
Madame la ministre,
en consultant la rubrique, de mieux en mieux achalandée ces temps-ci, “Pertes et profits, argent public et compagnie…”, je tombe sur ce “fait d’hiver” qui nous apprend qu’un apothicaire a détourné 18 millions d’euros en facturant de faux tests antigéniques. Je me suis alors demandé comment, en seulement trois mois et alors que l’un de ses confrères parisiens pourrait être poursuivi pour les mêmes raisons avec un butin de 4 M €, ce “commerçant” a pu taper aussi facilement et en toute impunité, jour après jour, dans les caisses de la Sécu et de l’État français.
Et puis, toujours en vérifiant le manque d’étanchéité du tonneau des danaïdes républicain, je découvre le montant des sommes attribuées par le gouvernement aux cabinets de conseils privés, plus communément appelés, du côté de Lutèce et loin de ces Pyrénées où je gîte, “consulting”. J’apprends donc à ce titre que, sur la période 2018 – 2020, les dépenses de l’ensemble des ministères concernant ces “prestations” se seraient élevées à 140 millions d’euros. Une somme significativement majorée par la sénatrice Véronique Louwagie qui nous signale que, plus précisément, 814 millions d’euros auraient été dépensés en 2019 pour des prestations extérieures de conseil au profit des administrations publiques. Au diable l’avarice, il se planque dans les amplitudes sans s’embarrasser, vous en conviendrez, des lassitudes.
En tant que ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, vous avez été interrogée au Sénat sur la gestion de la crise actuelle dans le cadre de la Commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseils privés. Vous avez déclaré que le débat sur ces organismes fait “souvent l’objet de raccourcis simplistes dans le débat public”, tout en reconnaissant “qu’un tel recours a parfois été trop systématique et mérite d’être encadré et réfléchi”. Enfin, dans votre grande mansuétude, vous avez promis que les dépenses des ministères auprès des cabinets baisseraient de 15 % en 2022, année électorale précisons-le…
Parmi les ministères “conseillés”, prenons celui de la Santé qui aurait contractualisé à sept reprises entre mars 2020 et janvier 2021 pour un total de 11,35 millions d’euros, dont 3,2 M € avec le seul cabinet américain McKinsey sollicité pour “l’accompagnement dans la stratégie cible visant à doter l’ensemble du territoire français des doses de vaccins”. McKinsey qui, pour un montant de 496 000 euros, s’est vu attribuer une étude concernant “l’évaluation des évolutions du métier d’enseignant”. Laquelle étude devait aboutir en 2020 sur un colloque. Lequel colloque fut annulé en raison de la crise sanitaire sans être reprogrammé. J’apprends, en dévidant l’écheveau de cette trépidante aventure, que le résultat de ladite analyse fut utilisé pour réaliser un rapport de 120 pages sur “Le professeur du XXIe siècle”. Lequel rapport fut, in fine, présenté, non pas à Ibiza dans une soirée karaoké, mais au Collège de France, en décembre 2021, auprès de personnels dûment qualifiés.
Résultat des courses, le directeur associé de McKinsey France, Karim Tadjeddine, a été à son tour entendu par la sénatrice communiste Eliane Assassi. Lors de son audition il a évoqué “l’organisation d’un séminaire pour réfléchir aux grandes tendances des évolutions du secteur de l’enseignement”.
4 666 euros la page pour un séminaire… Reconnaissez, Madame, que le bréviaire a de quoi faire pâlir de jalousie, les Goncourt et Nobel de littérature réunis. Mais aussi, et cela vous aura peut-être échappé, de quoi faire hurler de colère ceux qui passent à la pompe ces jours-ci.
Madame de Montchalin, allons-nous encore longtemps supporter les petits arrangements de cet entre-soi parisien qui distribue le fric du contribuable aux copains des copains pour pondre des rapports inutiles, des études inexploitées, des recommandations futiles, des dissertations accommodées ?
Excusez, Madame la ministre, ce ton peu révérencieux. Mais je n’ai rien trouver de mieux approprié pour formuler ma question. Profitez-en tout de même car celle-ci est gratuite. Et, veuillez considérer ma générosité, ne sera donc pas facturée à vos administrations.