Et si “aller voter” ne servait plus à rien ? [par J.-M. Majeau]

Plus de 70 % d’abstention. Jusqu’à 82 % chez les jeunes de moins de 25 ans… Branle-bas de combat chez les démocrates et les analystes politiques. Pourtant, c’est simple : les gens en ont assez de se plier à un devoir qui n’a plus aucune conséquence pour eux. Il était autrefois compliqué de ne pas voter, refusant ainsi de choisir entre des projets de société bien établis, déterminés et, surtout, radicalement opposés. Le vote pour tous, l’égalité sociale entre les sexes, la sécurité sociale, le sujet de l’immigration, le droit à l’avortement, l’abolition de la peine de mort. Chacun de ces thèmes était porté et discuté, au quotidien, par des centaines de milliers d’individus, des partis politiques, des syndicats. Entre le “patronat” et la CGT, il y avait un gouffre ! Chacun était persuadé d’avoir raison. Les batailles étaient rudes. Les défaites amères. La démocratie s’exprimait par le vote des citoyens, désignant leurs représentants au travers d’un acte civique, anonyme et volontaire : le vote.

À la lumière des résultats, la vision de l’avenir était amenée à changer. Dès lors, ne pas se rendre aux urnes était une traitrise, une couardise, un acte détestable. C’était l’inverse d’un acte politique. Il fallait avoir le courage de s’exprimer. L’isoloir permettant même la trahison de dernière heure, qui resterait indétectable. C’était la beauté de la “démocratie”. Pour cette mise en scène, il fallait des projets, “les professions de foi”, serments que les candidats devaient écrire pour laisser une trace de ce qu’ils feraient plus tard, une fois désignés par la foule de leurs supporters. La travestir serait un blasphème. Il fallait ces canevas. Il fallait des débats. Il fallait des contrepouvoirs qui regroupaient, ceux, souvent presque aussi nombreux, qui étaient du clan des battus au soir des résultats. Ainsi allait, périodiquement, la vie démocratique. Que reste-t-il de tout cela ? Rien ! Sinon cette injonction qui sonne comme un ordre militaire : “Allez voter !”.

Le costume vaut plus que la compétence

Et bien non ! Nous avons dit collectivement : “Allez-vous faire voir avec vos votes qui ne veulent plus rien dire !”. Parce que nous en avons marre de vos discours lénifiants, de vos explications alambiquées et de votre condescendance permanente. Parce que, malgré ce que vous pensez de votre image, nous vous voyons de plus en plus comme une aristocratie qui profite du système pour “faire carrière” mais, plus jamais, dans le but d’incarner un projet commun. À la question, noble, que se posaient vos prédécesseurs, “que puis-je faire pour eux ?”, vous avez substitué celle-ci : “qu’est-ce que le vote de ces gens va changer dans ma vie ?”. La réponse est évidente : “tout !”.

Une fois élus, outre des avantages multiples et quelquefois indécents, le système vous a transformés en véritables “popstars” de places du marché. Vos professions de foi ne sont plus des idéaux, mais le condensé de ce que les sondages d’opinion vous ont dit du désir des crétins à qui vous imposez le “devoir” de vous élire. Crétins qui viennent de s’arroger le droit de vous laisser à vos délires, à vos unions contre nature et à vos rêves mégalomaniaques. D’aucuns prétendent que certains postes ne se refusent pas. Je n’en suis pas persuadé. Sauf à admettre que le costume vaut plus que la compétence et que la forme vaut mieux que le fond. Les convictions et l’idéal pèsent infiniment moins à vos yeux que l’ambition personnelle et le désir de pouvoir. Quelles que soient les compromissions à accepter. Ne vous étonnez donc pas que les gens vous prient d’aller, tous, vous faire foutre ! 

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