Eau : stocker et gérer [par Yann Kerveno]
Si des efforts sont faits pour ne pas utiliser l’eau à mauvais escient, ou la gaspiller, la tension aujourd’hui quasi permanente entre les usages va réclamer de faire des choix. Stocker et consommer différemment.
Il est évident qu’aujourd’hui, il serait très difficile, en dépit de l’intérêt, de construire de nouvelles retenues comme celles de Vinça ou de Caramany. Les zones les plus en peine sont principalement celles où aucune réserve n’existe, la vallée du Tech, en grande difficulté cet été, et la haute vallée de l’Agly. “L’idée défendue par le monde agricole n’est pas de construire de nouveaux barrages, ni même ces fameuses bassines qui défraient la chronique et effraient les esprits du côté du Poitou. Non, c’est plutôt de construire des retenues d’un autre type, on les appellera « bassin catalan », pour faire simple. Nous projetons donc de créer des réservoirs, creusés dans le sol et dotés d’une capacité de 50 000 à 300 000 m3 qui seraient alimentés par les canaux que nous utilisons déjà. Un super réseau sans électricité” détaille Jean Bertrand à la Chambre d’agriculture. Plusieurs projets sont d’ores et déjà à l’étude.
Mais le monde agricole aimerait ne pas être le seul à être en ligne de mire quand il s’agit de parler d’eau. “Dans le département, environ 50 % de l’eau est utilisée par l’agriculture et 50 % par les villes. Le gazon que l’on maintient vert pendant une année, c’est 10 000 m3 par hectare, une piscine olympique, 50 x 25 mètres c’est entre 2 500 et 3 700 m3 selon la profondeur” ajoute-t-il. “Il faudra aussi poser aussi la question des forages individuels, ce sont bien les plus nombreux, qui captent des millions de mètres cubes dans les nappes tous les ans.”
Un problème de gestion
En charge du dossier Eau au Conseil départemental, Nicolas Garcia est un interlocuteur incontournable sur le sujet qu’il connaît parfaitement. “Aujourd’hui, ce n’est pas tant un problème de ressource que nous avons à traiter, qu’un problème de gestion. Dans notre malheur, nous avons de la chance puisque notre département, même dans un contexte de sécheresse, peut compter sur trois fleuves. En plus, nous disposons de deux nappes, pliocène et quaternaire, en surface, qui couvrent une grande partie du territoire. Nous avons en plus les Karst du côté Corbières et dans les Aspres, plus deux lacs, l’Agly et Vinça, plus la retenue collinaire de Villeneuve-de-la-Raho et ses 17 millions de mètres cubes. Ce qui me fait dire que ce n’est pas tant un problème de ressources auquel nous sommes confrontés qu’un problème d’organisation et de gestion de l’eau” explique l’élu. “Si nous gérons bien l’eau, ensemble et collectivement, nous pourrons répondre aux besoins du département pour les 50 prochaines années. Mais l’urgence c’est bien de gérer et pour moi, une des conditions essentielles, c’est qu’elle soit gérée collectivement.”
80 millions d’euros
Selon lui, le département peut compter sur 20 millions de mètres cubes supplémentaires, 5 provenant d’économies sur le réseau, 5 dans le quaternaire “assez riche” de Saint-Cyprien, 5 dans les Corbières et 5 millions à Villeneuve. Il plaide aussi la réalisation d’un aqueduc gravitaire entre le lac de Vinça et celui de Villeneuve, pour stocker l’eau de Vinça hors des périodes prévues… Aqueduc qui coûterait 80 M € et permettrait d’alimenter les canaux en leur évitant le recours à l’énergie électrique nécessaire à la mise sous pression…
Et la gestion ? “La proposition que nous faisons, que je fais, c’est la création d’un syndicat mixte de production de l’eau potable dans le département, un genre de Sydetom de l’eau, pour que nous puissions gérer nos nappes. En plus, nous envisageons que le Département, même s’il finance une partie, ne soit pas partie prenante de cette structure, que les collectivités locales en assurent l’entier pilotage”.
Et les friches ?
Si l’idée est bonne, pourquoi n’aboutit-elle pas ? “Depuis une vingtaine d’années, on dépouille les collectivités de leur pouvoir par des transferts aux Communautés de communes ou à la Région. L’eau, c’est un peu le dernier truc qui reste aux communes justement, ça crispe les élus” juge encore Nicolas Garcia. Et comment juge-t-il les petites retenues envisagées ? “Ce n’est plus un sujet tabou aujourd’hui, mais cela pose des problèmes, pas insurmontables, de sécurité et de financement. Mais il faudra aussi que le monde agricole s’interroge. On nous demande aujourd’hui de passer un réseau par-dessus le Tech pour aller arroser au-delà d’Argelès alors que sur l’ASA de Villeneuve, un tiers des terres équipées sont en friches…” Ne reste plus qu’à trouver une table ronde pour négocier…