Des élections, des rivalités syndicales, un Salon : et après ? [par Jean-Paul Pelras]
Analyse en partie extraite de l’Interview accordée au journal Le Figaro par J.-P. Pelras le 7 février 2025.
Que retiendra-t-on des élections Chambre d’agriculture millésimées 2025 ? Tout d’abord les événements qui l’ont précédé, à savoir les manifestations qui se sont déroulées fin 2023 et début 2024 avec le Salon de l’Agriculture comme point d’orgue et la visite d’Emmanuel Macron confiné dans sa bulle présidentielle, en bras de chemise, tutoyant ceux qui, in fine, avaient accepté d’échanger avec lui.
Et puis, dans ce qu’il convient d’appeler une surenchère syndicale menée tous azimuts, il y eut encore des manifs, encore des réunions, encore des rencontres. Avec, en toile de fond, des promesses en suspens et un vide politique suscité par la dissolution puis par les « intérims » de Matignon. Enfin, il y eut le vote par les Assemblées de la Loi d’orientation agricole. L’avenir nous dira s’il s’agit d’un énième gadget placebo ou d’une véritable intention politique.
Une actualité fournie, dédiée au monde agricole, avec, pour clôturer les festivités, les élections consulaires et une percée historique de la Coordination Rurale, au bout d’une campagne très tendue où chaque syndicat tentait de revendiquer la paternité des actions et des résultats obtenus.
Enfin, il y eut les sessions d’installation avec 14 départements où la CR est arrivée en tête sur le premier collège, celui des exploitants. Et dont la présidence rebascula pourtant pour certains dans le camp FDSEA – JA, tandem ayant bénéficié du vote des collèges « collatéraux ». Étaient concernés par ce revirement (avant bouclage de cette édition) la Gironde, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres et la Lozère. Des suffrages souvent serrés, avec un scrutin parfois jugé inégalitaire car hybride, ni majoritaire, ni proportionnel.
Dépendants
Quoi qu’il en soit, la FNSEA garde la main. Autrement dit, la présidence de la toute puissante Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA) rebaptisée Chambres d’agriculture France en 2022. Un organisme qui exerce son lobbying notamment auprès de l’Assem-blée nationale et qui est membre associé du Conseil de l’agriculture française (CAF). Lequel comprend la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du Crédit agricole (CNMCCA).
Le tandem FNSEA – JA a permis, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, de structurer la profession. Voilà un peu plus d’un siècle, le monde paysan construisait une maison que l’on croyait faite pour durer des millénaires, avec des pierres qui se soutenaient entre elles comme du pisé. Dans cette bâtisse, l’on trouvait la coopération, le syndicalisme, la formation, le consulaire, la banque, l’assurance, un peu plus tard l’aménagement foncier, la protection sociale, la comptabilité et même la pépinière avec les jeunes agriculteurs. De cette époque demeurent quelques porte-clés perdus au fond des tiroirs sous la lampe jaune des cuisines de campagne. Celles où, il n’y a pas si longtemps encore, l’on parlait de mutualisme en évoquant des structures qui, bien souvent, n’ont plus aujourd’hui d’agricole que le nom. Trop souvent dépendants de cette interconnexion, certains agriculteurs aspirent parfois à d’autres formes de représentation où ils ne seraient plus obligés d’adhérer à telle ou telle structure pour pouvoir pousser la porte de la suivante.
Dissidences
Sachant que le réseau est tissé de façon quasi-culturelle depuis 1946, de générations en générations. Un écheveau institutionnel dont le monde agricole aura bien du mal à se dépêtrer. Et ce, même si l’érosion constante du nombre d’agriculteurs et les saignées déplorées au sein de certaines filières avec, notamment, les fruits, les légumes, le vin ou encore l’aviculture et le secteur porcin peuvent encourager quelques dissidences. Des filières qui dépendent uniquement du revenu et qui, historiquement, ne perçoivent pas, ou si peu, d’aides directes via le premier pilier de la PAC (7 milliards d’euros, sur 10 milliards attribués à la France) contrairement aux secteurs des grandes cultures et de l’élevage. Une agriculture (et beaucoup l’ignorent) à deux vitesses où les syndicats se préoccupent davantage des accords Mercosur – UE et des importations ukrainiennes que de ceux signés régulièrement depuis trois décennies entre la France et les pays du Maghreb (Le Maroc était l’invité d’honneur du SIA 2025…). Les grandes cultures d’un côté, les fruits et légumes de l’autre !
Reste le contexte politicien et ce que représente désormais l’agriculture, sachant que seulement un électeur sur cent est un paysan. Et que, même s’il représente 100 milliards d’euros de CA (hors agro-industrie) pour 1,5 million d’emplois, au moment des élections il intéresse désormais moins que les membres d’une simple association. Un levier électoraliste qui, quand il représentait encore un pourcentage conséquent, influençait les relations entre le pouvoir et le syndicalisme dans ce que beaucoup désignaient comme étant une « cogestion ». Certains ont vu ou revu, avec le stand de la FNSEA protégé par la police au Salon de l’Agriculture, la marque de cette confusion.
La question n’étant plus de savoir désormais qui doit protéger un syndicat. Mais bien de se demander qui demain protègera les paysans français !