Agriculture : des économies, oui, mais comment ? [par Yann Kerveno]

Il y a maintenant des mois que nous parlons, dans ces colonnes, de l’augmentation des coûts de production. Il semble aujourd’hui évident que les baisses ne sont pas pour demain, en particulier pour le prix de l’énergie dont l’agriculture est gourmande, directement (électricité, fuel) ou indirectement (engrais) alors, comment essayer de faire face ?

En vigne, les marges de manœuvre sont limitées de l’avis de Julien Thiery, responsable du service Viticole de la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. “S’il s’agit de rogner sur ce qui est fait, alors le risque pour la production peut-être important. Pour l’oïdium par exemple, si on fait l’impasse sur la prévention, le rattrapage peut coûter cher” explique-t-il. Faut-il, pour les amendements, regarder du côté des couverts végétaux qui sont expérimentés dans le département ? “C’est assez compliqué en fait, en terme d’apport d’azote dans les sols. D’une part cela n’amènera jamais 100 % de l’azote nécessaire, même si ça apporte autre chose. D’autre part, c’est délicat à piloter et ensuite, dans notre contexte des Pyrénées-Orientales, on va souvent être obligé de détruire le couvert dans les parcelles au moment justement où il commence à rendre de l’azote au sol.”

Pour Julien Thiery, la question à se poser c’est peut-être de savoir d’abord ce qu’il y a dans le sol. “Parce que si l’on réalise toujours les amendements de la même façon, on peut certainement, sans trop de risque pour le rendement, rogner 20 % sur la quantité sur une année.” Il insiste aussi sur le nécessaire questionnement auquel doivent se soumettre les vignerons. “Est-ce que ce dernier traitement est nécessaire ? Est-ce que ce que je fais par habitude depuis des années ne peut pas être fait différemment et moins cher ?”

Le sol !

Il évoque aussi la question du parcellaire. Peut-être serait-il intéressant, pour limiter la consommation de carburant, de regrouper les parcelles, de procéder dans certains secteurs à des remembrements dans cette optique. Au service Fruits et Légumes, Éric Hostalnou n’a pas non plus beaucoup de solutions toutes prêtes à amener, sinon à aller gratter dans les marges, et il livre quelques pistes. “La première chose, pour ceux qui ne l’ont pas fait, c’est de regarder si les sols sont correctement équilibrés, pH, matière organique, parce que cela joue sur l’efficacité des apports d’engrais. La deuxième chose, pour ceux qui irriguent à l’heure, d’équiper les parcelles de tensiomètres qui vont permettre d’adapter l’irrigation, donc son coût, au juste besoin des plantes. Je suis personnellement effaré de voir si peu de parcelles équipées alors que nous subissons de plus en plus de canicules” explique-t-il. Après, il invite à regarder du côté des nouvelles sources d’azote qui se font jour, comme les digestats de méthaniseur qui sont actuellement testés en Roussillon par la Chambre d’agriculture. “Ces produits peuvent être des alternatives intéressantes, c’est à suivre.”

Alléger la facture

Le matériel et la mécanisation peuvent aussi permettre de réduire les coûts de main-d’œuvre et d’alléger les charges des exploitations avec des pré-tailles ou des pré-éclaircissages. “Pour les produits phytos, la question tourne surtout autour du traitement de trop, pour la cloque du pêcher par exemple, il n’est pas utile de traiter tant que les arbres n’ont pas débourré, pour certaines tordeuses, si la pression est faible, la confusion sexuelle peut suffire, c’est aussi une question d’observation. Il faut aussi être attentif à la qualité des produits qu’on utilise, regarder s’il ne vaut pas mieux utiliser un produit deux en un plutôt que de faire soi-même un mélange…”

Si elles sont moins concernées par ces problématiques en raison de leur système transhumant, certaines filières sont toutefois confrontées à de réels problèmes, comme celles du porc qui ont besoin d’aliment. “Les producteurs réfléchissent à alléger la facture d’aliments en récupérant des produits, fruits ou légumes, qui seraient impropres à la consommation humaine mais valorisables par les porcs. Il y a aussi des réflexions d’un groupe d’éleveurs pour organiser, à la manière de ce qui s’est fait pour les fourrages, une production de céréales localement” explique Emmanuel Leroy. Produire des céréales est une chose, mais il faudra ensuite les stocker, ce qui implique des investissements en silos et matériel…

Changer de source d’énergie ?

Faut-il aussi songer investir dans du matériel plus récent et performant qui consomme moins ? Mais il faut avoir les moyens d‘investir, d’une part, et trouver surtout le matériel qui convient. Car se pose tout autant la question de la disponibilité que celle du prix des engins… Ou développer des productions d’énergies sur les exploitations pour remédier à l’envolée des cours ? C’est ce que suggère Agathe Triaire. “C’est une piste que nous suivons actuellement, voir comment nous pouvons proposer des solutions d’autoconsommation aux exploitations qui utilisent, en particulier, un groupe électrogène ou un tracteur pour irriguer. Et il faudra se poser la question aussi pour ceux qui sont raccordés au réseau électrique.” Une chose semble acquise, cette crise va rendre impératives des évolutions rapides. Vers plus de sobriété, plus d’agronomie, plus d’attention aux sols, plus de rigueur dans l’organisation du travail et des flux, des commandes, des approvisionnements. Ce sont les gains marginaux qui permettront de mieux résister… Bref, c’est encore un monceau de compétences à acquérir ou peaufiner.

 

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