Coopératives : le fil du rasoir [par Yann Kerveno]

L’actualité juridique et légale peut s’avérer parfois aride. Revenons en arrière, il y a un an, une décision du Conseil d’État excluait les coopératives, à la demande de Coop de France, d’une partie du cadre posé par la loi EGAlim. En particulier celui de la formation du prix. Interview de Xavier Hollandts, spécialiste de la gouvernance, en particulier des coopératives, et professeur à la Kedge Business School.

Concrètement, qu’est-ce que signifie cette décision du Conseil d’État ?
Cela signifie que la loi et ses dispositions sur les prix anormalement bas s’appliquent aux négoces, aux opérateurs privés, mais pas aux coopératives qui peuvent continuer de gérer la formation des prix comme elles l’entendent. Pour faire valoir le droit des coopératives, leur fédération, Coop de France, a plaidé en expliquant que l’activité de coopératives ne relevait pas du droit commercial, duquel relève la loi EGAlim, mais du droit rural et de la loi de 1947. Et le Conseil d’État a donné suite à cette requête, sur la forme juridique, mais pas sur le fond qui n’a pas été jugé. Il a par contre écarté une autre requête plus surprenante…

Laquelle ?
Celle qui concerne la publication, par le Haut Conseil de la coopération agricole, d’un guide des bonnes pratiques de gouvernance des sociétés coopératives. On ne comprend pas vraiment pourquoi Coop de France s’est opposée à la rédaction et la publication de ce qui n’a en plus, rien de contraignant pour les entreprises.

Si l’on revient à l’exclusion des coopératives du champ d’application d’EGAlim, quels sont les risques ?
Il y a d’abord une question de concurrence puisque les coopératives n’ont plus les mêmes obligations que les entreprises privées ou du négoce, avec, au final, la création d’un système à deux vitesses. Les coopératives pouvant ainsi potentiellement obtenir des produits de qualité égale mais à moindre prix. Mais cela veut aussi dire que la relation “commerciale” entre l’adhérent et sa coopérative échappe à la loi, comme si c’était une boîte noire dans laquelle le législateur n’a pas le droit de mettre son nez. Alors, si l’on sait qu’en règle générale le rapport de force est plutôt favorable aux distributeurs dans les négociations, on sait aussi que, d’autre part, dans certaines coopératives, le rapport de force entre les adhérents et l’entreprise tourne parfois au bénéfice de cette dernière. En particulier dans ce que j’appelle les coopératives
prédatrices…

C’est-à-dire ?
Je pense là à certaines grandes coopératives dont les pratiques, vis-à-vis de leurs adhérents en matière de prix ont été dénoncées. Parce que ces pratiques, prix payés au minimum et facturation abusive de services par exemple, font que la coopérative capte la plus grande partie de la valeur au détriment d’adhérents de faits captifs de l’entreprise. Aujourd’hui, certaines coopératives ont des offres d’installation presque clé en main dont il est difficile de se départir ensuite.

La séparation du conseil et de la vente peut-elle limiter ces dérives ?
Cela vient écorner le modèle en place et dans le bon sens parce que cela remet de la concurrence dans le jeu. Et il est probable que les choses vont évoluer avec l’avènement de la prochaine génération qui est plus formée, semble avoir la volonté de mieux conserver la maîtrise des choix économiques et d’être plus autonome.

Faut-il penser à refonder le modèle coopératif agricole ?
L’intérêt du modèle coopératif, c’est qu’il permet, en principe, de répartir le profit sur le territoire qu’elle couvre. Mais c’est un système qui a toujours gêné Bruxelles parce qu’il est impossible de mener un OPA sur une coopérative. Il faut donc faire attention que la faille ne vienne pas de l’intérieur. Je pense par exemple à ces coopératives dont le cœur de l’activité, amenée par les adhérents, ne représenterait plus que 5 à 10 % de l’activité, le reste étant apporté par des structures filiales de droit privé, le tout chapeauté par un régime fiscal particulier. À ce niveau-là, il n’est pas évident que la valeur revienne jusqu’à l’adhérent.

Propos recueillis par Yann Kerveno

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