Capacité d’indignation ! [par Jean-Paul Pelras]
Mais qui sont ces gens qui osent encore manifester de nos jours ? Oui, qui sont ces nantis que certains désapprouvent en leur opposant des images de véritables dictatures allant de la Chine à la Corée du Nord en passant par l’Afghanistan ou la Birmanie ? Qui sont ces irresponsables qui ne veulent pas obéir aux injonctions gouvernementales et font prendre tous les risques à leurs familles, à leurs voisins, à leurs amis ? Qui sont ces trouble fêtes qui nuisent au bon fonctionnement d’une société disciplinée ? Qui sont ces arriérés qui osent manifester devant la porte des médias, qui s’en prennent à la liberté d’informer, qui osent douter de la déontologie des journaux subventionnés ? Qui sont ces malandrins, ces parias, ces réactionnaires, ces extrémistes de droite ou de gauche, ces poujadistes, ces fascistes, ces populistes, ces souverainistes… ? Qui sont ces gens qui s’expriment en défilant dans les rues d’un pays où, du moins jusqu’à présent, les opinions ne pouvaient être censurées, minorées, ignorées, minimisées, sous estimées… ? Qui sont ces gens que l’on classe dans le tiroir des impurs car un abruti à brandi une pancarte antisémite, la seule susceptible de capter le prisme des médias et des bien-pensants, car tellement pratique dès qu’il s’agit de décrédibiliser un mouvement ?
Qui sont ces gens qui sont désormais, outrage suprême, capables de rassembler plus que les syndicats ? Combien sont-ils chaque samedi et combien étaient-ils à l’époque des gilets jaunes, ou lors des grands rassemblements précédents en 2019, 2016, 2006, 1995, 1984, 1968, 1907… ? La réponse est à géométrie variable et dépend bien entendu de celui qui du pouvoir, des protagonistes ou des médias, tient la calculette. En admettant que, malgré les déductions sagement orientées de certains journalistes, nous ne soyons pas en mesure de définir clairement le profil de ceux qui battent le pavé depuis le début de l’été, en admettant que nous soyons incapables de les compter de façon rationnelle et objective, nous pouvons tout de même nous demander ce qui peut les conduire à se mobiliser avec une constance qui mérite à elle seule quelques interrogations et, pourquoi ne pas l’écrire, une certaine attention.
Les limites de l’illusion
Laissons, pour commencer, de côté l’injonction de la vaccination et toutes les mesures coercitives qui lui sont corrélées au pays où rien n’est obligé mais où beaucoup de choses commencent tout de même à être prohibées. Et prenons pour hypothèse la capacité d’indignation. Celle que l’on jauge à l’aune des grands mouvements, celle que l’on veut étouffer car elle ne dit pas son nom, du moins tant qu’elle n’est pas dignement célébrée, avec son jour de gloire, au nom de la nation.
Cette capacité d’indignation qui façonne la République au fronton de la démocratie, reconnue d’utilité publique par les résistants de la 25e heure, une fois sonnée la fin des conflits.
Oui, cette capacité d’indignation qui garde la lampe allumée, même quand la flamme vacille, qui ose douter quand la raison, celle du plus fort, semble pouvoir où vouloir l’emporter. Cette capacité d’indignation qui s’affiche très clairement lorsque 75 % des Français restent à la maison au lieu d’aller voter. Car même si les politiciens du moment ont tendance à occulter cette réalité, ils ne peuvent nier le désamour de plus en plus prégnant à leur égard qui fracture notre société.
Combien de temps le déni et le mépris vont-ils s’imposer face à la perplexité ? Cette perplexité qui ne peut être levée avec une heure tous les 15 jours d’allocutions présidentielles ou ministérielles ampoulées, calibrées, manœuvrées…
C’est cette question qui prévaut à présent, à l’heure de la rentrée sociale, à l’heure des réformes, à l’heure des comptes, à l’heure de l’inflation, à l’heure des élections, à l’heure où les stratèges sont à bout de souffle, à l’heure où les médias sont plus que jamais attentifs au sens que le vent va emprunter, à l’heure où, quoi qu’il en coûte et malgré l’entretien pitoyable des partitions, nous n’allons pas tarder à atteindre les limites de l’illusion.