Bérézina énergétique : “ni vu, ni connu j’t’embrouille” [par Jean-Paul Pelras]
Et si l’État, au lieu de saupoudrer à tout va, sans finalement jamais répondre aux attentes des particuliers comme des professionnels, décidait, au moins temporairement, de supprimer les taxes ? Entre plomber les Finances publiques en puisant dans un tonneau des danaïdes percé à hauteur de 3 000 milliards d’euros ou se résoudre à ne plus essayer de le remplir en vain afin de soutenir véritablement le pouvoir d’achat et la trésorerie des entreprises, le gouvernement pourrait, s’il a cinq minutes à nous accorder, se poser peut-être ce genre de question.
Autrement dit, concernant l’électricité, supprimer TVA, CSPE, TICFE, CTA qui, cumulées, représentaient, avant 2022, 34 % de notre facture, auxquels il fallait rajouter 34 % pour la fourniture et 32 % pour l’acheminement. Un ratio, bouclier tarifaire oblige, ramené depuis quelques mois à 21 % pour la fiscalité (déduction de la TICFE à hauteur de 8 milliards d’euros), à 48 % pour la fourniture puisqu’il faut (soi-disant) tenir compte de la hausse du prix du gaz sur le marché européen et toujours à 31 % pour l’acheminement.
Lorsque Bruno Le Maire annonce vouloir bloquer le prix du mégawattheure à 280 euros pour 600 000 TPE (très petites entreprises) l’État continue (si l’on considère les répartitions citées précédemment) à engranger 58,8 € du MWh contre 17 € lorsqu’il était vendu, début 2021, aux environs de 50 €. Un prélèvement multiplié par 3 à minima qui, de toute évidence, devrait permettre de remplir quelques chèques à 100 ou 200 euros…
D’après un rapport du ministère de la Transition écologique publié en 2021, au total, les taxes sur l’électricité ont permis à l’État de collecter 15,6 milliards d’euros en 2019, dont 4,2 milliards de TVA. Considérant (encore une fois) ce ratio et en remultipliant par 3, nous pouvons en déduire que, les taxes millésimées 2022 et 2023 pourraient rapporter chacune environ 47 milliards d’euros à Bercy. De quoi compenser les 15 milliards consentis pour le bouclier tarifaire version 2023, auquel il faut manifestement rajouter, soyons reconnaissants, 6 milliards en ce début d’année.
Spéculation et confusion
Idem pour le carburant puisque l’État a engrangé, entre TVA et TICPE, quelques 41 milliards d’euros en 2022, montant amputé de 7,6 milliards du fait des remises. Des chiffres qui donnent le tournis et qui peuvent être revus à la baisse comme à la hausse selon qu’ils sont commentés par le ministre de l’Économie ou par celui qui subit de plein fouet, jour après jour, le yoyo des prix de l’énergie. Ou comment comprendre, alors que le cours du baril de pétrole (Brent) est redescendu à 78 dollars contre 122 au mois de juin, le litre de gas-oil à la pompe est d’environ 1,85 euros ? Idem pour le prix du gaz naturel qui se négociait, en début de semaine dernière, hiver doux et stocks élevés obligent, aux alentours de 73 euros le mégawattheure alors qu’il atteignait 342 euros au cœur de l’été. Question : pourquoi notre facture énergétique ne baissera pas ? Réponse : parce que le gaz qui servira à produire de l’électricité et à nous chauffer cet hiver a été acheté au prix fort l’été dernier !
Au-delà des chiffres, nous sommes tous confrontés au manque d’explications rationnelles, aux scénarios alambiqués, aux méthodes empiriques (et probablement spéculatives), au flou des déclarations politiques qui suscitent une certaine confusion et finissent, c’est peut-être le résultat escompté, par détourner l’attention des usagers. Prenons, pour illustrer ce propos, l’exemple de la prise en charge à hauteur de 30 % d’une facture majorée de 500 %. Résultat des courses, ni vu ni connu je t’embrouille, il nous reste encore 350 % de l’ardoise à acquitter ! Et que dire de ces charges sociales ou fiscales, reportées sine die, cumulées à celles déjà non encore réglées…
Qui sont les responsables ?
Enfin, au-delà de ces mesures et de leur écheveau administratif qui s’annonce, une fois encore, bien difficile à démêler, nous devons nous demander qui porte la responsabilité de cette bérézina énergétique : l’État et les gouvernements successifs qui ont sacrifié la production nucléaire française pour grappiller une poignée de voix auprès des leaders écologistes en leur consentant quelques ministères, les promoteurs de la loi NOME qui a pour objectif de permettre une ouverture du marché de l’électricité en France et d’assurer aux fournisseurs alternatifs un droit d’accès régulé à des conditions équivalentes à celles dont bénéficie le fournisseur historique EDF, ou bien tout simplement ces mêmes fournisseurs alternatifs qui profitent de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) et ont (paradoxalement) contribué à la dérégulation d’un marché qui n’aurait jamais du échapper au périmètre et à l’encadrement de l’État français ?
Une “ouverture” qui devait nous permettre d’accéder à des tarifs moins élevés et dont nous pouvons désormais évaluer, à nos frais, les regrettables résultats…
Sans oublier cet imbroglio imposé par le gouvernement à EDF qui, ayant vendu sa production par anticipation, doit en racheter au prix fort une partie afin de la revendre à ses concurrents européens à prix cassés.
Un micmac souvent incompréhensible qui désoriente l’observateur et révolte le consommateur, qu’il soit chef d’entreprise ou particulier, sommé de régler sans broncher la facture de ladite “pénurie”, de l’impéritie et du cynisme réunis.