“Aujourd’hui, le transport coûte deux bras” [par Yann Kerveno]

Entre hausse des coûts, difficultés d’approvisionnement et ralentissement de la consommation, le marché du vin aura encore une année délicate à surmonter. Le point avec Florian Ceschi de Ciatti Europe.

Comment va le monde du vin ?
La principale problématique que rencontre aujourd’hui le monde du vin, c’est celle de la matière sèche. Et ce n’est pas tant une question de prix qu’une question de disponibilité. Il est devenu très compliqué de trouver, en Europe et un peu partout, des bouteilles en verre, en particulier les bouteilles blanches qui servent aux rosés et aux blancs. Nous avons même vu des marchés annulés à cause de l’impossibilité de mettre en bouteille.
La plupart des opérateurs ont anticipé mais les prix, qui sont élevés, vont dégrader fortement les marges. À cela, il faut ajouter les problèmes de logistique qui sont toujours d’actualité avec des containers bloqués dans les ports. Aujourd’hui, pour parler familièrement, le transport coûte deux bras.

Quelles conséquences attendre ?
Ce que nous constatons, c’est une “re-régionalisation” du sourcing. C’est à dire que les opérateurs regardent un peu moins loin que par le passé. Ils vont jouer la sécurité en allant s’approvisionner plus localement pour se mettre à l’abri des impondérables liés au transport, au détriment des bassins de production les plus éloignés, Nouvelle-Zélande, Amérique du Sud, Australie…

Comment jugez-vous la solution en France ?
Le temps est à l’inquiétude, il y a eu le gel. Mais finalement, si l’on était cynique et au vu des conditions du marché, on pourrait regretter que le gel n’ait pas plus amputé la prochaine vendange tant il est difficile de savoir comment va se dérouler la prochaine campagne. À part les blancs qui se vendent à des prix de folie, le ventre mou du rouge, celui qui est situé entre le très bon marché et le très cher, ça ne bouge absolument pas. Et je ne parle pas du bio. On a raté des marchés en début de campagne avec des prix élevés, c’est une politique dangereuse et les stocks sont importants alors que, cette année encore, de nombreux producteurs arrivent en fin de conversion, donc les volumes à rentrer cet automne seront encore plus importants…

Chez nos voisins espagnols ?
Ils sont plutôt bien cette année, si ce n’est quelques inquiétudes à cause du conflit en Ukraine. Une partie de leurs exportations se fait en moûts pour des bases mousses, vers la France, l’Italie, l’Allemagne où ils sont transformés avant d’être exportés vers le marché russe. Donc, pour l’instant, c’est un peu l’expectative. Sinon, ils ont eu de l’eau et pas trop de gel visiblement.

L’Italie ?
C’est le contraire de l’Espagne question météo. Il règne, dans tout le Nord du pays, une sécheresse intense, comme dans le Sud-Est chez nous, en Vénétie, Lombardie, ils ont même eu, cet hiver, des incendies en montagne… Pour le commerce, ils sont portés par la folie des Anglais pour le Prosecco qui ne s’est pas démentie malgré l’avènement du Brexit et l’augmentation des prix. Il y a en plus peu de chance pour que ça ralentisse puisqu’en mars de l’année prochaine, entrera en vigueur une modification de la taxation des vins qui conduira à une baisse des prix au détail.

Les États-Unis ?
Ce qui est notable aux États-Unis, c’est le coup d’arrêt du développement de la consommation pour l’ensemble de la gamme, à l’exception du haut du panier. Ces dernières années, la progression annuelle dépassait les 10 % mais là, c’est plat, cela ne progresse plus. Et il est difficile d’attribuer ce retournement à une cause en particulier, mais l’inflation joue probablement un rôle important en provoquant des arbitrages brutaux des consommateurs qui coupent leur consommation parce que le vin est trop cher.

Et enfin, l’Australie ?
Pour eux, c’est un peu la catastrophe. Il sont toujours confrontés à l’embargo chinois, les prix sont tombés à des niveaux incroyables, à 50 € l’hecto, mais le prix du fret, plus les difficultés à trouver le transport, font qu’ils ont beaucoup de mal à exporter. Même à 50 € en prix de départ, le coût du transport fait qu’ils ne sont pas compétitifs sur le marché mondial des entrées de gamme.

Propos recueillis par Yann Kerveno

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