Artisans et agriculteurs : même destin, même champ de bataille [par Robert Massuet]
Il y a des années, nous avons pris la décision de faire entrer les artisans au conseil d’administration de L’Agri et de participer activement à la vie de ce journal. Cette décision découlait d’abord d’une histoire humaine : en rencontrant Jean-Paul Pelras, nous avons eu l’impression de partager un constat sur l’activité économique du département et nous avions dans ces colonnes la possibilité de l’exprimer. Par la suite, nous avons appris à connaître les administrateurs, des dirigeants d’entreprises locales, connus dans leur village, des gens comme nous, de l’économie réelle. Nous n’avons jamais regretté notre implication dans ce journal.
Derrière ce nom « L’Agri », j’ai entendu une réalité qui allait plus loin qu’un domaine professionnel, plus loin qu’une spécialisation, un code APE, un établissement consulaire, j’ai entendu le sens grec du mot agros, celui qui renvoie au champ ; là où agriculteurs et artisans font ce qu’ils savent faire : travailler, faire vivre un territoire. S’inscrire dans l’histoire de L’Agri c’était donc déplacer la focale de la ville – largement traitée par la presse généraliste – et se concentrer sur le reste, sur ceux qu’on entend moins et dont on voudrait nous convaincre qu’ils appartiennent à un passé révolu. Notre devoir a toujours été de les représenter, nous le faisons avec fierté dans ces colonnes.
Depuis des années, nous pensons qu’agriculteurs et artisans partagent un destin commun, où les heures passées au travail ne se comptent pas, où on est toujours à proximité des clients et des emmerdes, où rien n’est fait pour simplifier la marche de nos affaires, où on est pointés du doigt quand on fait trop de bruit, quand il manque un document unique d’évaluation des risques, un PPSPS ou n’importe quel autre papier au nom barbare dont l’administration a le secret. Sur le terrain, de plus en plus déserté, de l’économie des Pyrénées-Orientales, il reste encore des artisans et des agriculteurs qui, dans les villages, se font travailler les uns les autres, s’en remettent plus souvent à la poignée de mains qu’aux contrats, conscients de leur interdépendance, attachés au territoire et à quelques valeurs.
Je crois au collectif, je crois que les artisans doivent être défendus, c’est l’ADN de nos organisations professionnelles, et cette défense passe par la prise de position partout où on peut prendre la parole. Nous avons donc saisi la possibilité d’entrer au capital de L’Agri comme une véritable opportunité de porter la parole des nôtres au-delà de notre périmètre. Ce faisant, nous avons pu toucher d’autres publics qui lisent (et craignent ?) ce titre. L’union d’une parole portée par les artisans et les agriculteurs a pu inquiéter certains… Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire, mais si, en toutes circonstances, nous avions uni nos forces comme nous avons essayé de le faire à L’Agri, nous aurions été davantage entendus. Aujourd’hui, nous en sommes là, avec les difficultés que rencontre le journal, et les rapaces qui se régalent de colporter des rumeurs tandis que le gratin du département est occupé à parader au Salon de l’agriculture, à Paris, à grands frais. Il m’arrive de me demander si, à moindres frais, on n’aurait pas pu, plutôt, soutenir un journal rural local… N’en déplaise au cul des vaches.
Alors oui, tant qu’on voudra de nous, je continuerai à défendre les artisans chez nos cousins agriculteurs. Je le fais pour l’intérêt de nos entreprises, et parce que je crois que si l’un disparaît, l’autre ne tardera pas à le suivre.