Artisanat : tensions sur les fournitures, sur les délais, sur les devis… [par Thierry Masdéu]

“Quand le bâtiment va, tout va” clame la rhétorique, formulée au XIXe siècle, qui désigne les métiers de la construction comme élément moteur dans la croissance économique. Fait avéré, la reprise selon les secteurs d’activité semble être de retour, mais les hausses de prix et pénuries de certaines fournitures pénalisent plusieurs corps de métiers.

Électriciens, plombiers, chauffagistes, menuisiers, maçons, couvreurs, peintres, etc. Chacun a son lot de difficultés, soit pour optimiser les commandes auprès des fournisseurs, s’assurer des délais de livraison, soit finaliser en temps certains chantiers, ou tout simplement les programmer. Sans parler d’un sujet qui fâche : le manque de main d’œuvre suffisamment qualifiée. Palliant aux différentes crises, les artisans du bâtiment ont toujours fait face aux situations les plus difficiles. Mais avec cette dernière de la Covid-19, les conséquences inattendues sur les hausses spectaculaires de certaines fournitures pèsent lourd sur les marges commerciales. Selon une enquête de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) réalisée en juillet dernier (voir encadré), seulement un quart des entreprises répercute la hausse de ces coûts sur le prix des prestations.

“Nous sommes en quelque sorte otages des devis signés avant les augmentations de matériaux et les entrepreneurs qui n’ont pas suffisamment anticipé l’achat des fournitures savent pertinemment qu’ils vont perdre de l’argent !” constate avec regret Jean-Philippe Jacquemet, artisan peintre basé à Rivesaltes et président de la CAPEB 66, selon qui certaines entreprises refusent des chantiers. “Par exemple, pour les électriciens où le cuivre a plus que doublé, comme chez les menuisiers avec le bois ou celui de l’acier chez les ferronniers-serruriers, le contexte est très délicat ! Aussi, dans la mesure du possible, on préconise à nos adhérents d’inscrire sur les devis une clause qui spécifie une éventuelle hausse du prix des matériaux”. Autre nouveauté constatée sur les devis, celle concernant les dates de validation qui, pour certains corps de métiers, sont passées de 12 à 6 mois, voire 30 jours suivant le type de chantier à pourvoir. “Face à nos confrères du bâtiment, l’artisan peintre se sent plutôt privilégié car, sur les contrats, le poste main d’œuvre représente près de 80 % du montant !” tient à souligner Jean-Philippe Jacquemet. Lequel ne cache pas non plus que, depuis son installation en janvier 1990, il n’a jamais autant acheté de palettes de peinture pour provisionner du stock.

Commercialement inconcevable

S’adapter pour faire face aux délais incertains de livraison a aussi suscité chez cet artisan un autre concept d’approche commerciale. “Pour mes clients, je m’interdis actuellement de leur faire choisir des produits des catalogues qui ne sont pas dans les stocks des fournisseurs, comme certains revêtements !” Aucun secteur des métiers du bâtiment ne semble épargné. Chez les thermiciens spécialisés sur les dispositifs solaires, climatisations ou pompes à chaleur, les hausses et difficultés d’approvisionnement sont également bien présentes avec un malus supplémentaire. En effet ces entreprises qui ont contracté des dossiers d’installations via les aides de l’État au bénéfice de particuliers désireux de remplacer des appareillages énergivores, se retrouvent contraints de respecter les prix initiaux. La mécanique est telle que la charge administrative et la lenteur des dossiers instruits n’incite pas les entrepreneurs à reformuler de nouveaux dossiers aux prix actualisés. Mesure qui serait de toutes façons commercialement inconcevable, au vu du reste à charge dont bénéficie le client.

D’ailleurs, un professionnel du secteur nous confiait ne plus vouloir calculer le manque à gagner sur ses dossiers, afin de minimiser son dégout et son écœurement face à ces augmentations à tout va. La majorité des entrepreneurs sont persuadés qu’ils ne retrouveront pas le prix des fournitures d’avant crise et la crainte du manque de produits a poussé certains corps de métiers à une surconsommation de matériaux. Des stockages massifs qui pourraient être annonciateurs de nouvelles pénuries sur les mois à venir et l’entraide du dépannage de fournitures entre artisans pointera probablement son nez…

Les chiffres de la hausse

Selon l’enquête de la CAPEB/Xerfi de juillet 2021, l’impact des pénuries concerne la quasi-totalité des secteurs de l’artisanat.
• Prix des matériaux : 76 % des entreprises déclarent une hausse.
• L’augmentation des prix concerne particulièrement :
– la menuiserie-serrurerie avec 86 % de hausse ;
– la couverture-plomberie-chauffage avec 81 % de hausse ;
– l’aménagement-décoration-plâtrerie avec 80 % de hausse.
• 74 % des entreprises sont dans l’impossibilité totale ou partielle de répercuter la hausse des coûts des matériaux sur leurs prix de vente.
• 57 % des entreprises se plaignent de ruptures d’approvisionnement.
Les métiers les plus marqués sur la pénurie des matériaux sont :
– la maçonnerie – entreprise générale pour 67 % des entreprises ;
– la couverture – plomberie-chauffage pour 65 % des entreprises ;
– la menuiserie – serrurerie pour 60 % des entreprises.
• 14 % des entreprises sont parvenues à anticiper leurs achats de matériaux afin de faire face à leurs commandes à venir.
• 39 % y sont partiellement parvenues.
• 47 % n’y sont pas du tout parvenues.

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