À la montagne, on descend ses poubelles

Le loup et l’ours ne sont pas les seuls à poser problème en montagne. Les humains aussi y convoient leur part de nuisance, en particulier l’hiver dans les refuges non gardés.

Voilà une histoire qui se joue loin des rumeurs des villes, dans des endroits forcément reculés où les hommes ont posé des bâtisses pour servir de refuge. Il s’agit bien sûr de la haute montagne, qui bénéficie depuis le Covid d’un engouement massif l’été, mais aussi l’hiver. « Le principal problème, c’est en particulier que cette nouvelle population n’est pas familière de la montagne l’hiver, la plupart du temps elle n’en connaît pas les difficultés et, malheureusement, assez souvent n’est pas équipée en conséquence » regrette Julien Militon, gardien de refuge en Ariège et président de l’association des gardiens de refuges des Pyrénées. Pourtant remarquablement isolé, le refuge qu’il gère avec Sylvain Freche, En Beys dans la réserve naturelle d’Orlu, n’échappe pas au mouvement. « Nous savons que le refuge d’hiver n’a jamais été aussi plein que cet hiver, et nous ne savons pas dans quel état on va le trouver » explique-t-il à quelques semaines de l’ouverture de la partie qu’ils gardent tout l’été. En montagne, la règle veut que les déchets soient descendus par ceux qui les produisent. Mais elle est régulièrement oubliée par ceux qui montent profiter de la montagne, ou pour faire la fête dans un cadre unique.

Depuis le Covid, la montagne a gagné de nouveaux adeptes, en été mais aussi en hiver, alors qu’elle est moins amicale. (Photo Yann Kerveno)

« Un quart de ce qu’il y a à descendre »

« J’ai fait un premier voyage il y a quelques jours, j’ai sorti un sac de 130 litres et c’est peut-être un quart de ce qu’il y a à descendre » raconte Thomas Dulac, gardien et gérant du refuge des Cortalets sous le Pic du Canigó. Des photos et vidéos postées tout récemment sur les réseaux sociaux montrent l’ampleur du désordre, pour ne pas dire saccage. Même les armoires qu’il avait installées pour que quelques habitués puissent laisser du matériel ont été forcées. Et il n’y a pas que la question des déchets souligne-t-il. « Les gens qui montent aujourd’hui ne savent plus faire de feu, ils brûlent du bois vert qu’ils coupent alentour pour se chauffer. Ça abîme les arbres et ça chauffe peu. »
Si la situation des Cortalets est récurrente, les autres refuges du massif pyrénéen n’y échappent pas forcément, même si la mesure est moindre. « C’est beaucoup une question de comportement, une partie des gens qui viennent en montagne aujourd’hui la consomment plus qu’ils ne la pratiquent, ils viennent souvent pour faire la fête et ne redescendent pas leurs poubelles, et c’est notoire dans les Pyrénées-Orientales où les refuges sont plus accessibles qu’ailleurs » regrette à son tour Julien Militon.

Fermer les refuges d’hiver ?

L’affaire relevant du civisme et du respect de la montagne, elle incombe à chacun et imaginer des solutions se révèle un casse-tête sérieux. « Les refuges sont des lieux d’intérêt général, nos refuges ouverts et gardés l’été, ont donc l’obligation d’avoir une partie qui reste ouverte l’hiver, pour servir d’abri aux personnes qui seraient en danger » précise-t-il. Aux Cortalets, le projet de rénovation du refuge inclut la partie hiver et Thomas Dulac veut envisager toutes les solutions. Scinder la partie hiver en deux et en fermer une à clé, pour que les utilisateurs déposent une pièce d’identité au moment de récupérer le sésame, et laisser une petite partie pour servir de refuge en cas de danger.
« D’autres systèmes sont mis en œuvre dans d’autres pays : au Canada, tous les refuges sont payants, en Suisse ils sont fermés. » Faire payer ? L’idée semble difficile à imaginer pour Julien Militon : « Cela va créer, on le sait parce que c’est déjà arrivé dans d’autres régions, des conflits entre ceux qui auront payé qui se sentiront prioritaires par rapport à ceux qui arrivent pour se réfugier. »

Le refuge des Cortalets est une halte appréciée aussi en hiver dans la voie vers le sommet du Canigó. (Photo Yann Kerveno)

Pédagogie

Il estime aujourd’hui que la loi doit évoluer et que les propriétaires des refuges soient aidés par l’État. « Pourquoi ne pas consacrer un petit pécule pour aider les communes ou les intercommunalités à absorber les dégradations, parce que, au final, il en va de leur responsabilité que le refuge reste ouvert pendant l’hiver. Ou alors peut-être réfléchir à construire des cabanes dédiées qui supporteraient mieux la fréquentation et les éventuelles dégradations, et qui pourraient servir de lieux de stockage pendant l’été ? »
Aux Cortalets, Thomas Dulac essaye la pédagogie, communique sur les réseaux sociaux. « Je n’ai pas descendu les poubelles de tout l’hiver pour montrer ce qui se passe justement et j’essaye de trouver le moyen de faire évoluer les choses sans que ce soit punitif. Mais aujourd’hui, le rapport à la montagne a changé, on appelle les secours à la première faiblesse… J’essaye de faire en sorte que la montagne redevienne un savoir-vivre. » En commençant par descendre ses poubelles.

Yann Kerveno

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *