Vigne : de qui se moque-t-on ? [par Yann Kerveno]

Retards, refus, pinailleries, le plan sectoriel destiné à la filière viticole française n’est toujours pas à la hauteur des enjeux économiques
des entreprises.

IL y a comme un léger parfum d’amertume dans les propos de Jean-Marie Fabre. Le vigneron de Fitou, président national des Vignerons Indépendants, en arriverait presque à se demander, avec les autres responsables de la filière, à quoi joue le gouvernement avec le plan sectoriel. Dernier camouflet en date, l’opposition du gouvernement à l’inscription des exonérations de charges sociales dans le projet de loi de finances rectificatif numéro 3 présenté la semaine passée à l’Assemblée. “La députée Marie-Christine Verdier Jouclas a fait un travail remarquable avec ses collègues pour faire avancer et inscrire cette proposition dans la loi, mais rien n’y a fait” regrette-t-il avant de sortir la calculatrice. “On nous refuse 230 ou 240 M € d’exonération de cotisations patronales alors que nous avons versé, sans pouvoir avoir recours au chômage partiel de nos salariés parce qu’il y avait de l’ouvrage à la vigne, pour 4,5 milliards d’euros de salaires pendant la période du confinement.”

3 millions d’hectolitres
Dans les faits, la polémique porte sur le taux de perte de chiffre d’affaires, c’est sur ce point que Bercy se montre, tout accroché à sa rigueur budgétaire, inflexible. “Il faut avoir subi une perte de 80 % pour bénéficier des exonérations, alors que dans la viticulture, la moyenne est à 62 %. Mais nous avons quand même versé ces salaires !” L’amertume est tout aussi palpable quand on met sur la table le sujet de la distillation, financée pour 2 millions d’hectolitres quand plus de 3 millions ont été soumis, comme les prévisions de la filière l’avaient envisagé d’ailleurs. “Il va donc manquer des financements pour 800 ou 900 000 hectos, soit une enveloppe globale de 70 à
75 millions d’euros. Et le gouvernement annonce mettre 45 millions ? À quoi cela rime ?” Et les aides au stockage, où en est-on ? “Là encore on ne comprend pas, le dispositif a été acté par l’Union européenne début mai et ce n’est toujours pas en place. Les dernières modalités techniques ont été validées par le dernier conseil spécialisé de FranceAgriMer et le dispositif sera accessible seulement début août !”
À quelques jours du début des vendanges en somme. Quand il regarde les heures passées à négocier, expliquer, faire des propositions “réfléchies, raisonnables et responsables” aux ministères, Jean-Marie Fabre ne comprend pas le pourquoi de ces demi-mesures, de ces délais. Alors il cherche une explication.

Une vision technocratique et parisienne
“On a l’impression de vivre un décalage complet entre la crise que nous vivons, la réalité économique des exploitations et le temps de l’administration. Comme si le gouvernement ne prenait pas la mesure de cette crise et que nous allons continuer de vivre. Alors oui, nous n’avons pas le même poids symbolique qu’Airbus qui a déjà reçu 320 M €. Peut-être aurait-il fallu que nous menacions, comme d’autres l’ont fait, de dizaines de milliers de licenciements pour être entendus ? Je me demande si finalement nous ne sommes pas confrontés à une vision technocratique et parisienne complètement éloignée de l’agriculture, de la viticulture. Qu’on ne prend pas la mesure de ce que cela représente en termes d’emplois. Oui, Airbus c’est 340 000 emplois avec les sous-traitants, mais la vigne, en France, c’est 700 000 emplois. 10 milliards d’euros de TVA abondés chaque année au budget de l’État, 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 12 milliards d’excédents commerciaux. Et au final ? On nous met sur la table 155 millions seulement !” 
Alors L’Agri peut poser la question qui semble sourdre de ces constats : de qui se moque-t-on ?

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