Viandes : le confinement a bousculé un équilibre fragile

Quentin Mathieu, chargé de mission, Assemblée permanente des Chambres d’agriculture, revient sur la chute des cours de la viande depuis le début du confinement.

Comment expliquer la gamelle des cours pour les bovins survenue pendant la crise de la Covid-19 ?
Il y a plusieurs facteurs pour expliquer cette chute des cours pendant le confinement. Le premier, c’est que la restauration hors foyer a fermé, qu’elle soit collective ou commerciale. Chez eux, les consommateurs se sont tournés vers de produits basiques, faciles à préparer, de la viande hachée ou bon marché parce que l’heure n’était pas aux achats plaisirs. Il y a eu un déséquilibre peu banal puisque ce sont des morceaux arrières qui se sont retrouvés dans ces préparations et dont on ne savait que faire. Alors qu’en principe, ce sont les avants qui sont plus difficiles à écouler ou valoriser que l’on retrouve dans ces produits. Ces problèmes ont persisté, malgré les promotions et la congélation auxquels ont eu recours les abatteurs. La crise est survenue, en plus, dans un contexte de grande fragilité de la filière, en particulier à cause de la concurrence intra-européenne, le confinement est venu bousculer ce fragile équilibre. Et tout cela a pesé sur les prix, les faisant passer parfois sous le coût de production.

Et les broutards ?
Curieusement, le marché du maigre est resté très actif vers l’Italie, ce qui n’a pas forcément été le cas en Espagne, autre débouché classique pour les animaux des élevages français mais qui a connu cette année de nombreux à coups. À certains moments, le trafic vers l’Italie a même fait mieux que d’habitude en termes de volumes et de rémunération. Pour les autres espèces, chevreaux et ovins cela a été très compliqué.

La crise de la filière lait a-t-elle pesé aussi sur les apports à l’abattoir ?
Il y a eu deux actions dans ce secteur, l’interprofession a appelé à réduire la consommation et les coopératives ou les industriels ont joué sur la variable prix pour la faire effectivement réduire, en payant par exemple un euro symbolique le lait excédentaire. Les éleveurs ont alors actionné les leviers habituels, économisé sur le coût de production et accéléré les réformes en envoyant à l’abattoir les animaux les moins performants.

D’autres productions ont-elles connu des perturbations ?
Oui, vous avez certainement entendu parler des fromages d’appellation qui ont été contraints de recourir à la congélation, là encore parce que les consommateurs se sont rabattus sur des aliments simples. Toutes les filières très dépendantes de la restauration ont connu des problèmes, c’est le cas pour les volailles de qualité comme la pintade ou le pigeon, mais aussi le lapin, parce que ce sont des produits souvent trop chers pour la grande distribution.

La vente directe s’est beaucoup développée depuis le début de la crise, les éleveurs ont-ils pu en profiter ?
Ce sont surtout les producteurs de fruits et de légumes qui en ont profité, c’est un débouché plus naturel pour eux et plus facile à mettre en œuvre rapidement que pour un éleveur qui ne s’y est jamais adonné. Mais il a pu y avoir des associations entre agriculteurs. Nous avons ainsi remarqué que le montant du panier moyen du réseau Bienvenue à la ferme avait progressé jusqu’à 53 € contre habituellement 40 €, il a donc probablement pu y avoir des ajouts de viande avec les légumes dans certains cas.

Que restera-t-il de cette crise ?
Une mutation structurelle certainement, la crise est survenue dans un contexte complexe pour l’élevage. Nous allons probablement assister à des fins d’activités chez les éleveurs, une réduction de la taille des troupeaux et la recherche par les éleveurs de marchés plus valorisés, comme les labels ou la bio. C’était déjà engagé mais il y a fort à parier que ce mouvement va vite s’accentuer.

Propos recueillis par Yann Kerveno

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