Un air de rien

Au chapitre des opinions politiquement incorrectes dont nous sommes friands à L’Agri, il manquait cette pointe de malice qui brocarde la culture, la pensée judicieusement orientée, le couplet calibré, le troubadour honorable, l’artiste de variété fréquentable ou un peu trop bien “clinché”. C’est donc à Karo et Didoo que nous avons confié le soin de débusquer cette part de contrefaçon qui se dissimule souvent chez nos idoles. Mais aussi, parfois ce qui, à l’aune de quelques combats, peut révéler les facettes méconnues de ces “gens-là”.

“On nous cache tout, on nous dit rien”. Ce petit air nous est passé par la tête ce midi et avec lui le souvenir de son interprète. Bien sûr, il y a de l’adolescence là-dedans. Il y a le lycée, les grandes discussions politiques et philosophiques sur la vie, il y a les premiers verres de boissons houblonnées, il y a aussi la 4 L, les Gauloises, le blouson en jean où l’on avait rivé des étoiles et des clous, les premières filles, les premiers garçons… Mais surtout, ce côté un peu rebelle, un peu révolté de nos idoles qui étaient, il faut le reconnaître, un peu décalés au regard de “notre” réalité.
Ce personnage-là était particulièrement intéressant avec son gros cigare et ses Ray-ban éternellement vissées sur le nez, ses cheveux longs, son petit air narquois, sa jolie fiancée et ce comportement très particulier qui donnait l’impression qu’il se moquait de tout et que rien n’avait d’importance. De 1966 à 2000 il est présent dans nos vies par l’intermédiaire de la radio, de la télévision, de l’autoradio, de la voiture et de ses petits airs que l’on fredonne régulièrement : “Et moi et moi et moi”, “Les cactus”, “J’aime les filles”, “Les play-boys”, “Il est cinq heures, Paris s’éveille”, “L’oportuniste”, “Arsène Lupin”, “Merde in France”… Ses apparitions télévisuelles nous amusent. Et nous avouons même que, quelquefois, son air décontracté nous faisait envie… Ces “airs” nous ont donné une bouffée d’air, de l’air frais, de l’air nouveau !

Qu’ont-ils fait de ce qu’ils savaient, l’ont-ils partagé ?
Mais les temps ont changé et il semble nécessaire de se questionner sur le choix de vie que ces personnages nous ont jeté à la figure ? Alors, regardons “de travers” celui qui nous faisait rêver et essayons de voir ce qu’il a apporté à notre société… Jeunesse dorée avec un père ingénieur, pianiste amateur, scolarité dans des établissements de choix à Paris, le Paris des riches… C’est sûr qu’il n’a pas été obligé de travailler pendant les vacances d’été pour se payer la Mobylette, le permis, la voiture et les sorties ! De ce fait, c’est beaucoup plus facile d’être désinvolte et de se moquer de tout avec le porte-monnaie bien rempli. Quelle “leçon de révolution” peut donner un type qui gagne beaucoup d’argent en faisant le clown et reste l’autre moitié du temps dans sa propriété Corse ? Et surtout, quelle représentation de la vie peut être construite par un adolescent avec une telle image ?
Notre idée d’aujourd’hui, c’est celle-là : une image DE RIEN ! Qu’est-ce que cette manifestation de l’indolence et de la facilité réunies peut apporter au bien-être social, quelle est la part de responsabilité de tous ces baladins dans le mal-être sociétal actuel ? Est-ce que l’on peut, en même temps, se moquer d’une société et prendre l’argent dans la poche des gamins pour qu’ils achètent les disques qui rapporteront des millions à ceux qui les ont enregistrés ? Qu’ont-ils fait de ce qu’ils savaient, l’ont-ils partagé ? Ils n’en ont RIEN fait. Ils n’ont RIEN partagé.
Notre société s’est enlisée, elle a laissé faire. Parce qu’aujourd’hui la terre se fendille sous nos pieds, il nous faut vite explorer ce passif et envisager de le “faire mieux”, pour pouvoir chanter “On ne nous cache rien, on nous dit tout”… Et l’on apprendra par le journal que Jacques est en garde à vue pour ne pas avoir respecté le “couvre-feu”. Car à 5 h du mat’, pendant que d’autres partaient travailler, il rentrait se coucher. Toujours du bon côté… Toujours du bon côté…

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