Surmortalité due au cancer ou au Covid ? Les médecins pris en otage

Interview de Jean-Marc Majeau

La question semble provocatrice ? Pourquoi la poser en ces termes ?
En raison des chiffres : depuis 10 semaines, l’activité médicale hors Covid est arrêtée. Prenons le cas du cancer du côlon. En France 50 000 cas sont diagnostiqués annuellement et 17 000 personnes en décèdent, en général en raison d’une découverte tardive. Nous faisons 1,2 million de coloscopies par an, et trouvons 50 000 cancers. En 10 semaines, nous aurons donc laissé échapper 230 000 examens, soit 9 600 cancers du côlon. C’est arithmétique ! Moi-même atteint de cette maladie en 2005, j’avais fait un tour de France en vélo pour obtenir la mise en place du dépistage généralisé. Pour sensibiliser le public, j’avais suggéré aux conseillers de la ministre de l’époque, un slogan : “Un cancer du côlon pris à temps n’est pas un cancer méchant”.
Et bien, avec trois ou quatre mois de retard, je vous affirme qu’il le devient ! Ceux qui auraient dû être diagnostiqués durant ces dernières semaines en feront la douloureuse expérience. Pour d’autres maladies, nous voyons aux urgences des patients dont l’état clinique rappelle ceux des livres d’histoire. Je fréquente les hôpitaux depuis plus de 40 ans, et n’avais jamais eu l’occasion de voir des pathologies aussi évoluées. Je les croyais disparues ! Ce retard de diagnostics va engendrer des milliers de morts dans les mois à venir. Le Dr Salomon tient des statistiques très précises, à l’unité prés. Il connaîtra, d’ici peu, l’impact précis de cet abandon de l’accès aux soins. Je doute qu’il communique alors, mais l’augmentation des courbes sera très facile à vérifier. Ni les médecins, ni, encore moins les patients ne pourront en être tenus pour responsables.

Pourtant, même pendant le confinement, les cliniques et les blocs opératoires étaient ouverts. Pourquoi l’activité n’a-t-elle pas repris aujourd’hui ?
Dès le début nous avions, entre secteur public et privé, établi une stratégie de répartition pragmatique des tâches : l’hôpital faisait le Covid et les cliniques le “non Covid”. Nous savions tous que l’hôpital public, en cas d’épidémie sévère, risquait d’être débordé par la charge croissante, et, en partenariat, nous restions solidaires, mobilisés sur des astreintes et des gardes, en cas de besoin.
Cette collaboration était remarquable. Jusqu’à ce que les “super-intelligents” ne s’en occupent ! Rapidement, alors, le secteur privé a disparu de la “communication officielle”, on n’a plus parlé que des hôpitaux. La saturation des lits de réanimation a été rabâchée à longueur d’antenne, pendant que nos établissements, pourtant équipés, restaient désespérément vides ! Nous n’avons jamais été sollicités, y compris dans le Grand Est quand des malades furent transférés dans d’autres régions en TGV, alors que des services performants de réanimations situés à proximité restaient inutilisés et boycottés. C’était surement télégénique mais médicalement incompréhensible !

Aujourd’hui, l’activité peut-elle reprendre sans restriction ?
Bien sûr. Nous savons protéger nos patients et nous-mêmes de la contamination infectieuse. C’est notre boulot quotidien. Les patients Covid doivent être dépistés car ils supportent très mal anesthésie et intubation en phase aigüe. Notre expertise médicale, l’interrogatoire et l’utilisation de tests spécifiques systématiques, nous permettrons de surseoir temporairement à leur prise en charge. Pour les autres il n’y a aucune inquiétude à avoir.

D’où vient le problème alors ?
Des ARS et du ministère qui nous imposent des contraintes dont ils ont le secret, complexes et inapplicables, avec, entre autres, un encadrement des commandes des produits indispensables d’anesthésie et de réanimation. Il n’y a aucune pénurie, ni aucun souci avec les fournisseurs. Dans d’autres pays ces restrictions ne s’appliquent pas. Mais chez nous, comme ce fût le cas pour les masques, la restriction est administrative. La limite de notre activité découle de ce fait, puisque nous ne pouvons répondre, quantitativement, à une demande pourtant croissante. Face à des possibilités comptées, devrons nous “choisir” ceux que nous pourrons traiter ? C’est contraire à l’éthique et donc inacceptable, surtout hors contexte de pénurie !
Si cette situation perdure, nous verrons apparaitre, dans quelques mois, dans toutes les spécialités, des pathologies de plus en plus évoluées. La responsabilité en incombera, alors, à ceux qui, aveuglés par le Covid, ont décidé de normes, de circulaires et de restrictions spécifiques, oubliant les autres risques de santé publique. Ces entraves aux soins sont inexplicables, voire même criminelles ! Les moyens humains sont là ! Laissez-nous reprendre une activité normale ! Chaque jour perdu est dorénavant devenu mortel !

Propos recueillis par Jean-Paul Pelras

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