Pyrénées-Orientales : la SHEM, une histoire d’eau et de territoires [par Thierry Masdéu]

Troisième producteur hydro-électrique du Grand Sud-Ouest, la “SHEM” (Société hydro-électrique du Midi), du groupe “Engie” est implantée sur toute la chaîne des Pyrénées, dans le Lot et les contreforts du Massif Central. Dotée de 56 usines et de 12 grands barrages, elle délivre annuellement une production d’environ 1 838 GWh, l’équivalent de la consommation en électricité d’un million d’habitants.

Première source d’énergie certifiée 100 % renouvelable, l’hydroélectricité a façonné, dès le début du XXe siècle, une partie de l’histoire des P.-O. et de son aménagement territorial.
Tout débute en 1903 avec une loi du 4 mars, autorisant la construction de la ligne ferroviaire entre Villefranche-de-Conflent et Mont-Louis. La Compagnie des Chemins de Fer du Midi, qui donnera naissance en 1929 à la SHEM, se voit confier cette tâche. Inscrite à l’époque dans le cadre politique du désenclavement des zones rurales et impulsée par Emmanuel Brousse, conseiller général du canton de Cerdagne et de Jules Lax, ingénieur des Ponts et Chaussées pour la compagnie en charge des travaux, cette étude de voie ferrée a vite mis en exergue les difficultés techniques de l’ouvrage et du type de train devant l’emprunter.

Barrage des Bouillouses. (Photo SHEM)

Le poids d’une locomotive à vapeur avec son chargement en charbon et eau rendait en effet impensable l’exploitation d’une telle machine sur les zones pentues du Haut-Conflent. Aussi, inspirée d’une expérience dans les Alpes, une motrice à traction électrique a donc été favorisée, non pas en alimentation aérienne comme celle des TGV, mais plutôt au sol, grâce à l’intermédiaire d’un troisième rail électrifié. Mise en service en 1910, la construction de la fameuse ligne du Train Jaune qui débute simultanément en 1904 avec celle du barrage des Bouillouses et des usines de productions électriques de La Cassagne et de Fontpédrouse pour l’alimenter, est à l’origine du remarquable complexe hydro-électrique actuel de la SHEM, qui s’étend sur 60 Km et douze communes. Du Pla des Aveillans jusqu’à celle de Lastourg, ce sont pas moins de sept usines électriques qui turbinent l’eau de la vallée de la Têt, sans oublier l’usine de La Ribérole qui œuvre avec l’affluent du même nom et celle d’Angoustrine qui en fait de même avec celui du Sègre.

Pour les P.-O., la consommation en électricité de 86 000 personnes

Au total, la production annuelle de ces neuf usines affiche une moyenne de 175,7 GWh, soit l’équivalent d’une consommation en électricité de 86 000 personnes et place la SHEM au premier rang des producteurs d’hydroélectricité des P.-O. Bien qu’aujourd’hui, cette production électrique, ne représente qu’1 % de la consommation de la ligne du Train Jaune, ses missions sont tout aussi nobles et indispensables pour la sécurisation du réseau, l’entretien des ouvrages, la gestion de la réserve en eau et la stabilité environnementale piscicole et sédimentaire des cours d’eau. Une force qui est aussi étroitement liée à l’engagement passionné d’une équipe de 21 agents qui œuvrent à l’année. “Ce qui fait notre spécificité, c’est la capacité de réaction de nos équipes qui ont des compétences très pointues et sont à même d’assurer quasiment en interne toute les maintenances” expose avec fierté, Arnaud Argilès, sous-chef de groupement sur la vallée de la Têt, rappelant qu’à tout moment, suivant les pics de consommations, ils doivent répondre à la demande de RTE pour réguler le réseau électrique. “Il faut savoir qu’avec la technologie de l’hydroélectricité, nous sommes capables, en démarrant les installations, de produire une énergie électrique de 0 à 100 mégawatts en un espace temps de 5 minutes pour pallier aux variations de tensions !” Par sa rapidité de mise en œuvre, cette énergie hydraulique permet aussi en partie de compenser les chutes brutales de productions des autres énergies renouvelables, comme l’éolien ou le photovoltaïque.

Indispensable pour l’irrigation agricole, l’eau potable, les stations de ski…

Source d’énergie pour la SHEM, l’eau turbinée provenant essentiellement du barrage des Bouillouses qui a une capacité de 17 millions de m³, est aussi la garantie d’une réserve hydraulique suffisante pour son multi-usage. Notamment pour les cultures d’été avec, du 1er juillet au 15 octobre, des lâchers agricoles à la demande, de l’ordre de 4 à 6 millions de m³, commandité par le Conseil départemental des P.-O., pour l’alimentation des canaux de Canaveilles et de Bohère et l’irrigation de la plaine du Roussillon avec, en aval, le barrage de Vinça qui en assure la régulation. Ressource pour les productions fruitières et maraichères du Roussillon, l’eau stockée aux Bouillouses alimente également en eau brute jusqu’à 1 160 000 m³ la Cerdagne pour les besoins en eau potable des communes de Bolquère, Font-Romeu, Odeillo et Via ainsi que, suivant l’enneigement, jusqu’à 540 000 m³ pour les équipements de production de neige de culture pour les stations de ski de Font-Romeu et Pyrénées 2000. Assurer un débit d’étiage réservé pour les cours d’eau et fournir les irrigants sont les deux priorités majeures de la SHEM qui n’hésite pas, si les débits sont insuffisants, à arrêter sa production hydroélectrique. Une situation qui, avec le dérèglement climatique, inquiète de plus en plus et ne fait que valoriser l’importance du rôle des barrages et bassins pour le stockage de cette précieuse ressource en eau.

Une entreprise locale centenaire menacée par un rapport européen

Autre sujet d’inquiétude, qui dure maintenant depuis plus de 10 ans, concerne les nouvelles directives de l’Europe qui demande l’ouverture à la concurrence du marché des concessions hydroélectriques. Véritable serpent de mer, ce dossier n’en finit plus d’être l’objet de désaccords entre les instances européennes et la France, propriétaire des barrages. Cette épée de Damoclès pour la SHEM et ses 320 collaborateurs a été ravivée voilà deux ans avec le rapport “Hercule” qui a exposé cette entreprise à fonds privés, seule, face à l’ensemble de la concurrence Européenne. “Bien que l’on représente 3 % du marché de l’énergie et que nous n’avons pas démérité… Nos installations sont très bien entretenues ; on nous a, comme dirait-on, oubliés !” S’interroge Sophie Le Scaon, chef du service communication de la SHEM. “Aujourd’hui, les tractations sont à un niveau tellement haut que l’on ne sait toujours pas quel sort nous sera réservé. Ce manque de visibilité freine la prévision de nos investissements et on se limite à l’entretien de l’existant. Car comment les envisager ? Le régime de la concession consiste à réaliser des investissements lourds pour le compte de l’État et de se rembourser sur la durée d’exploitation”. Sans compter la perte du capital connaissance des équipements et de l’expérience de terrain, si la menace qui plane vient à se confirmer pour les emplois et l’avenir de la SHEM, cela représenterait un véritable drame pour le tissu social et économique des zones où elle y est implantée depuis 92 ans.

Pêche : prudence aux abords des ouvrages hydroélectriques

Depuis le 13 mars, à l’occasion de l’ouverture de la pêche, la Société hydroélectrique du Midi (groupe Engie) rappelle aux pêcheurs présents le long des cours d’eau de respecter les règles de sécurité aux abords des rivières équipées d’usines hydroélectriques et de barrages. La SHEM peut être appelée à démarrer ses groupes de production en moins de 15 minutes. Cette souplesse et cette réactivité nécessitent des lâchers d’eau qui peuvent entrainer une montée rapide du niveau des cours d’eau, même bien en aval des ouvrages hydroélectriques. Installés sur les réseaux hydrographiques concernés, des panneaux jaunes avertissent les pêcheurs du danger à s’aventurer dans le lit des cours d’eau et qu’il convient de rester sur les berges.

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