Prière de ne pas déranger !

Vendredi dernier. Lendemain de conférence. Il faut rédiger l’édito avec des mots qu’il suffit d’assembler dans le bon ordre pour suggérer quelques idées, s’indigner parfois, ne jamais rester à la surface des sentiments, garder les yeux ouverts, jusqu’à l’épuisement. Et puis il y a cette petite musique qui se fait de plus en plus prégnante, ce couplet : “Tu n’es plus dans le coup, il faut tourner la page, on n’y changera rien”.
À ce moment-là, je regarde Juliette. Toujours à la même heure, toujours au même endroit. Nous avons un point commun : la constance. L’une avec ses habitudes, l’autre avec ses convictions. Un chat et des convictions, voilà ce qu’il nous faut pour écrire. Peut-être à cause de la fidélité, peut-être à cause de nos fréquentations. Ces fréquentations qui ne sont plus ce qu’elles étaient à l’aune d’un temps qui n’ose plus s’engager.
“Le syndicalisme existe-t-il encore ?” Me demandait hier soir Christine Moulenat. Peut-être, s’il s’agit de celui qui sollicite désormais l’autorisation de manifester avant de défiler sagement sous les fenêtres du Palais. Peut-être, si l’esprit critique passe par la gestion diplomatique. Peut-être, si ceux qui ne veulent plus désobéir se contentent de ne plus rien obtenir.
“Tu n’es plus dans le coup, il faut tourner la page…” Et ce couplet qui revient comme pour tirer un trait sur une histoire qui n’aurait servi à rien. “Je twisterais les mots s’il fallait les twister” disait Ferrat dans la chanson. Mais je n’ai pas ce talent-là. Et je vois se dérober un monde qui ne veut plus résister, car il redoute, peut-être pour son confort, l’agitation et le fracas.

Un peu de panache, nom de Dieu !
65,5 % : c’était le taux de participation national aux élections Chambres d’agriculture en 2007, 54,34 % en 2013, 46,52 % en 2019. Si la fin de l’ère consulaire est annoncée qu’en est-il, effectivement, de l’ère syndicale qui lui est corrélée ? Qui, du pouvoir ou du paysan, est en train de gagner la partie ? À cette question, ceux qui ne veulent pas voir l’évidence vous diront : “Prière de ne pas déranger”.
“Avec 2 500 emplois, le Marché Saint Charles est le premier employeur du département”, martelait récemment le président de la CCI sur France Bleu Roussillon avant d’évoquer l’impact que pourrait avoir le mouvement des gilets jaunes sur… les importations de fraises.
Alors quand on sait, justement, ce que l’importation coûta à nos agriculteurs, on se dit que quelqu’un va réagir, qu’un responsable syndical va se lever quelque part pour écrire quelque chose, pour saisir un micro et apporter sa contradiction. Un peu de panache, nom de Dieu ! Un peu de panache ! Et bien non. Rien ! À part peut-être quelques mots, quelques éraflures dans l’édito d’un syndicaliste rangé des voitures. Et ce refrain qui revient : “Tu n’es plus dans le coup, il faut tourner la page, on n’y changera rien !”
Peut-être, sauf qu’à force de ne plus vouloir affronter la réalité nous sommes passés, en 6 ans dans les P.-O., de 3 167 exploitants à 2 651… Rajoutons à cela la soixantaine d’installations annuelles (aidées ou non aidées) et ce sont, d’une façon ou d’une autre, 876 agriculteurs qui sont sortis des radars. “On n’y changera rien” peut être. Surtout, vous en conviendrez, quand il sera définitivement trop tard !

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