“On n’est pas là pour se faire engueuler… !”

Bien sûr, il y a ces plexiglas disposés dans les salles de restaurant, ce morceau de tissu qu’il faut porter sur le visage pour se rendre à la table qui nous est désignée, cette distance qu’il faut tenir à l’heure de l’apéro. Sans oublier le regard un peu triste de la coiffeuse qui souffre derrière sa visière, entre la désinfection des accoudoirs et celle du lavabo. Et que dire de ces files d’attentes devant les magasins où l’on doit se plier à la réglementation en vigueur. “Utilisez le gel hydroalcoolique”, “Port du masque obligatoire”, “Pas plus d‘une personne par famille et par caddie”, “Respectez les distances aux caisses et entre les rayons”, “Tout produit touché doit être acheté”, “Respectez la signalétique et le sens de circulation”… Et cette caissière derrière l’hygiaphone enrubanné de cellophane. Et le vigile qui surveille le moindre de vos mouvements. Et la peur de se faire engueuler comme dans la chanson de Vian. Non pas parce que tu t’es déplacé pour voir le défilé, mais parce que tu es venu dépenser ton argent… À l’instar de ces gens circulant dans les corridors installés sur les plages avant le “grand déconfinement”, nous obéissons le cœur contraint, la tête basse, l’œil éteint. Nous avançons résignés quelque part entre ce que nous possédons de dignité et cette irrépressible envie de tout envoyer valser.

Mais que sommes-nous devenus ?
Et puis, il y a cette poignée de main qu’un ami de trente ans te refuse en esquivant le geste, en te disant
“je suis désolé mais je ne préfére pas… Du moins pour l’instant, enfin pour cette fois.” Cette bise que la cousine décline poliment en t’avertissant de loin parce qu’on ne sait jamais. Cette partie de pétanque où tout le monde garde ses distances, où personne n’ose ramasser le cochonnet, ce repas en famille où l’on ne sort plus les biscuits salés, ces fêtes de villages qui n’auront pas lieu cet été…
Mais que sommes nous devenus ? Quelle tristesse s’est donc emparée de ce pays, de ce peuple qui ne pourra pas, cette année, applaudir les coureurs du Tour de France, qui ne pourra pas suivre les matches de rugby, qui ne pourra plus aller danser en boite de nuit, ni se retrouver à plus de dix pour échanger, à la terrasse d’un bistrot, sur les problèmes du moment ? Et, ceci expliquant peut être cela, sur les errances du gouvernement… Parce que nous en sommes là, à hésiter avant de sortir, à nous demander si nous n’allons pas déranger chaque fois que nous poussons la porte d’une boutique, chaque fois que nous voulons obtenir un renseignement, chaque fois que notre désir de liberté dérive vers l’impasse des vacuités, chaque fois nous sombrons dans le spectacle affligeant qu’offre notre capacité à nous résigner. Car nous sommes victimes de la peur de l’autre. Celle qui conditionne les consciences et conduit, jusqu’à l’hypocrisie, ceux qui ne veulent pas t’embrasser car, soi-disant, ils ne veulent surtout pas te contaminer. En fait, ils ont surtout peur de choper ce que tu pourrais leur refiler. À savoir le sentiment de se faire (peut être) manipuler.

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