Loi alimentation : “Arrêtons de jouer à la dinette avec les agriculteurs !” [par Jean-Paul Pelras]

Trente syndicats et associations viennent donc de s’apercevoir que la loi alimentation dite “EGalim” était un échec. Un échec parce que “le revenu paysan n’est toujours pas revalorisé”. Sur ce point, nous sommes d’accord. Même s’il ne fallait pas être grand clerc pour prédire le résultat d’une consultation où, dès le début des travaux, certains ateliers étaient présidés par le directeur des produits frais Danone et, entre autres commerçants, par le PDG de Système U. Car, en définitive, que faut-il voir derrière cette “expérimentation” de deux ans qui prônait, par exemple, le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte ? Si ce n’est une manière de conforter la marge des distributeurs. Lesquels reconnaissaient à l’époque “la main sur le cœur” que la guerre des prix n’avait que trop duré.
Des prix qui devaient être calculés en fonction des coûts de production avec cette énième interrogation : qui allait tenir la calculette ? En substance, à peu près tous les opérateurs sauf les premiers intéressés. L’amendement du député-éleveur Jean-Baptiste Moreau avait, à ce titre, de quoi désorienter le monde agricole puisqu’il souhaitait que les données ne soient plus fournies par la profession, mais par des observateurs indépendants. Beaucoup de tergiversations pour un projet mal préparé qui, de surcroit, ne tenait pas compte des réels problèmes rencontrés par l’agriculture française. Cette agriculture qui doit faire face à une déferlante de normes administratives et environnementales. Cette agriculture qui n’obtiendra, avec la loi EGalim, tout simplement car la question ne figurait pas au programme, aucune réponse concrète aux distorsions de charges intra-européennes, premières responsables de la déprise champêtre sur le sol français.
Une loi qui n’en est pas une, car elle entend suggérer sans imposer une conduite aux distributeurs. Comment peut-il en être autrement dans un pays où les grandes surfaces jugulent l’inflation ? Ce qui, en autorisant un certain pouvoir d’achat, permet de désamorcer les tensions sociales et sert la conscience des gouvernements successifs depuis trois décennies. Seule alternative pour endiguer cette hégémonie : le législateur doit mettre en place des mesures coercitives et imposer un réel cœfficient multiplicateur.

Les paysans sont progressivement écartés des débats
Une fois la question du revenu agricole évacuée, les trente associations abordent ce pour quoi elles ont réellement fait le déplacement. Autrement dit la protection de l’environnement. Il n’est alors plus du tout question de s’apitoyer sur le sort du paysan. Mais, bien au contraire, de condamner l’utilisation des pesticides et le retour des néonicotinoïdes tout en en rajoutant une louche sur l’augmentation des productions bio et sur leur pourcentage à intégrer dans la restauration collective. Sans oublier la transition des modes d’élevage ou, entre autres marronniers écologistes, la préservation du climat. Rien de très surprenant de la part d’Agir pour l’Environnement, d’Attac, de la Confédération paysanne, de la Fondation Nicolas Hulot, de France Nature Environnement, de Générations Futures, de Greenpeace ou, entres autres, de Réseau Environnement Santé, associations certainement très qualifiées pour évoquer les mutations agronomiques en privilégiant leurs idéaux à la réalité de la situation. Une situation qui concerne bien sûr, en premier lieu, l’agriculture conventionnelle, celle qui doit se débarrasser des coquelicots car il s’agit d’une plante invasive, qui doit éloigner le loup car il décime les troupeaux, qui devra nourrir 9 milliards d’individus à l’aune des années 2050 avec autre chose que de la permaculture, la part du colibri, la traction animale et quelques épiphénoméniques vues de l’esprit.
Résultat des courses, cette loi EGalim semble n’avoir satisfait personne. Même si une fois de plus, à l’instar de ce qui est en train de se produire avec le Grand débat sur l’agriculture, paradoxalement encadré par des experts en urbanisme, les premiers concernés sont progressivement écartés des réflexions au profit d’associations ou d’individus tirés au sort pour décider du devenir de nos campagnes.

Phosphorer autour de ce que l’on ne connaît pas
Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron, au lieu de prendre clairement position sur ce sujet comme sur tant d’autres, préfère déléguer en imposant des consultations citoyennes où l’on phosphore autour de ce que l’on ne connaît pas forcément, en organisant des ateliers entre quatre murs avec des gens qui ne savent pas ce qu’il en coûte de passer toute une vie dans les champs.
Il faut arrêter de s’amuser avec les paysans, arrêter de jouer à la dinette dans le dos de ceux qui nous ont toujours sauvés de la disette. Dans le contexte que nous connaissons, si une instance doit réfléchir au devenir de notre agriculture elle doit, avant tout, être composée d’experts économiques qui ont une parfaite connaissance de cette activité. Car si, comme le prédit le Sénat, la France risque de connaître son premier déficit agricole en 2023, notre pays va, inexorablement, basculer dans l’inconnu que suscite la géopolitique des dépendances alimentaires. Au même titre que la santé, la défense ou l’enseignement, l’agriculture demeure un secteur incontournable dont le sort ne peut être confié à des comités Théodule irresponsables.
À l’heure des choix, puisque nous en sommes là, va-t-on sacrifier pour la première fois de notre histoire ceux qui nous nourrissent pour palier à l’inconséquence d’un gouvernement et satisfaire le fonds de commerce de quelques enfants gâtés ? Il en va du devenir de nos territoires et de ceux qui, jour après jour, quoi qu’on en dise, nous permettent de “ne pas manquer” !

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