La campagne est devenue le terrain de loisirs des urbains [par Jean-Paul Pelras]

“Le vrai luxe, c’est la campagne” disent ceux qui ne supportent plus la ville et veulent migrer vers ces contrées où l’herbe est forcément plus verte qu’au pays des embouteillages et des pots d’échappement. Les confinements successifs et la pratique du télétravail ont, à ce titre, suscité quelques transhumances réputées inverses puisque, après s’être vidée durant l’exode des années 70, la ruralité refait le plein avec “le retour aux sources” des années 2020. La source étant la ferme du pépé ou de l’arrière-grand-père que l’on retrouve après des décennies passées à se demander comment certains pouvaient encore vivre dans des endroits pareils, sans école, sans ciné, sans médecin, sans pharmacie, sans salle de sport, sans esthéticienne, sans banquier, sans restaurant à proximité, sans téléphone portable, sans internet, parfois sans commodités et, plus globalement, sans tout ce qui fait, ailleurs et loin d’ici, la prétendue qualité d’une vie.
Et voilà que, contraints par l’enfermement, les gens des villes, non sans une pointe de frustration, se mettent à envier le quotidien des “braves gens” des champs. À tel point que, dans certains départements, en moins de six mois, il n’y a plus une seule maison, une seule grange, une seule étable à vendre là où les panneaux indiquent désormais “Recherchons biens à acheter”.
Une pénurie qui génère bien entendu une flambée des prix et commence à limiter l’accès aux logements anciens, pour les jeunes notamment qui n’auront bientôt plus les moyens d’acquérir une maison dans leurs villages et à proximité de leur lieu de travail. En témoigne, dans les Pyrénées-Atlantiques, le retour de ce genre d’inscription sur les devantures d’agence immobilières “Le pays Basque n’est pas à vendre”.
Une spéculation dopée notamment par le pouvoir d’achat des cadres supérieurs ou de certaines catégories sociales aisées issues des grandes métropoles. Effet de mode ou ancrage définitif ? C’est ce que nous dira l’avenir quand, après avoir idéalisé un certain modus vivendi champêtre, les urbains en mal de campagne voudront peut-être retrouver leurs pénates, leurs relations, leurs boutiques, leurs spectacles, leurs galeries, leurs musées et tout ce qui fait l’essentiel du non essentiel. Il suffira alors de refermer les volets et de confier au voisin ou au jardinier les clés d’une maison où ils reviendront, s’ils ne sont pas partis en vacances à l’étranger, passer deux semaines au cœur de l’été.
Le vrai luxe c’est effectivement la campagne, surtout quand on peut se la payer diront ceux qui, restés au pays, n’ont pas toujours les moyens de confondre loisir et réalité.

Nous allons donc assister à la fin des campagnes telles que nous les avons connues

À cela, il faut rajouter le comportement de ces néo-ruraux sensibles aux rythme bucolique des saisons, mais rétifs aux odeurs, aux usages, aux bruits, aux impératifs moins folkloriques qu’économiques d’une région.
Depuis quelques années, nous assistons ainsi à une avalanche non exhaustive de plaintes visant à condamner les pratiques agricoles ou le quotidien olfactif et sonore de nos campagnes. Les champs, les vergers, les vignes, les près et les chemins qui permettent d’y accéder n’étant plus considérés comme étant un outil de travail, mais comme autant de terrains de loisirs où l’on peut se promener sans se soucier de la notion de propriété, cueillir ce qui pousse à portée de main, faire pisser son chien à la proue des jardins, ouvrir les clôtures sans les refermer et critiquer le paysan car il a osé désherber un roncier, nettoyer un ruisseau ou démarrer son tracteur un peu trop tôt.
Nous assistons ainsi à la constitution d’associations qui, en deux temps et trois mouvements, finissent par obtenir gain de cause. Les élus se rangeant rarement du côté des agriculteurs qui, contrairement aux nouveaux venus, ne rapportent même plus leurs quotas d’électeurs.
Nous allons donc assister à la fin des campagnes telles que nous les avons connues. Celles où le caprice des éléments dictait sa loi avant que le caprice des nouveaux arrivants vienne imposer la sienne. Quelque part au pays du pépé où l’on savait qu’il ne fallait jamais boire l’eau avant qu’elle ne soit tirée, où l’argent ne fait pas l’héritier. Où une certaine France de pacotille vient infliger à domicile ses leçons à ceux qui ne lui ont rien demandé.

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