Chambres à part !

Le titre, vous en conviendrez, est alléchant. Et pourtant il ne concerne pas, cette fois-ci, les prétendants aux élections consulaires locales. Mais plutôt la bataille qui oppose sénateurs et députés autour d’une Loi alimentation qui, de toute évidence, ne résoudra pas les problèmes du monde agricole. (Ceci étant dit vous pouvez tout de même lire l’article…)

Voici donc cette Chambre dite “haute” qui a rejeté, en votant “la question préalable”, le projet de Loi agriculture et alimentation. Projet débattu et probablement adopté mardi par l’Assemblée nationale (bouclage du journal ce jour-là). Un rejet voté par 276 sénateurs (LR, PS et centristes) contre 49 issus des rangs de la majorité présidentielle et du RDSE. Le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste s’étant abstenu.
Il s’agit, en quelque sorte, d’un baroud d’honneur visant à dénoncer, selon le rapporteur LR Michel Raison, “le mépris” exercé par le gouvernement sur le travail sénatorial. Dans la foulée, Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, réaffirmait bien entendu l’attachement du gouvernement au bicamérisme (deux chambres, en latin) Il a également dénoncé “une posture politique” et déclaré au micro de Public Sénat : ”Les agriculteurs méritaient mieux que le rejet du texte.” Effectivement les agriculteurs et les citoyens en général, qui se moquent bien de savoir pourquoi nos parlementaires font chambre à part, méritent mieux que ça monsieur le ministre. Ils méritent surtout mieux qu’un match de ping-pong politicien sensé départager deux camps sur la question d’une loi qui est en train de faire long feu, car inappropriée aux véritables problématiques agricoles. Rappelons que ce texte ciblait prioritairement le rééquilibrage des relations commerciales au profit des agriculteurs. Il fallait donc pour cela inverser le processus de construction du prix en le confiant aux premiers concernés. Et en privilégiant la notion de coût de production.

Ces textes de lois rédigés pour amuser la galerie et jouer la montre entre deux élections
Un projet de loi que le gouvernement voulait boucler avant fin septembre, soit quelques semaines avant le début des traditionnelles négociations commerciales. C’était sans compter sur l’échec de la commission mixte paritaire réunie début juillet. Les sénateurs reprochant, à juste titre, au gouvernement et aux députés LREM de faire marche arrière sur la question des indicateurs de prix. Le principe d’un droit de regard par l’Observatoire de la formation des prix et par France-AgriMer ayant été contesté par le député rapporteur Moreau (LREM) qui préconisait le maintien de cette fixation par les interprofessions. En clair, retour à la case départ avec des distributeurs et des industriels qui gardent la main comme ils le font depuis des décennies car la seule loi immuable demeure celle de l’offre et de la demande. Une évidence que les sénateurs ne peuvent ignorer et que les députés, lobbying oblige, n’ont certainement pas pu contourner.
Tout ça pour ça et rien d’autre. Non, rien d’autre du côté des véritables difficultés, celles qui justement permettent aux commerçants d’exercer une pression quasi permanente sur les producteurs en privilégiant l’importation. Toujours rien en effet sur les distorsions sociales, fiscales et environnementales intra et extra européennes dans ces textes de lois rédigés pour amuser la galerie et jouer la montre entre deux élections. Juste un peu de garniture pour distraire les ONG et amadouer, l’espace de quelques mois, le monde agricole.
Parce que le leurre de la loi Alimentation réside dans cette équation : le législateur sait qu’il ne peut régler, pour des raisons géopolitiques évidentes, le problème des distorsions déloyales entre pays producteurs. Alors il fait croire, l’espace de quelques mois, aux paysans, qu’il peut encore, sur le sol français, influencer la loi du marché.

Jean-Paul Pelras

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