Castany !

Dans une vie, il est des endroits où l’on aime revenir parce que nous sommes sûrs d’y retrouver le même arbre imposant à l’entrée du village, la même église qui a baptisé, communié, marié et enterré tant de générations, les mêmes habitants, ceux de notre enfance, toujours vivants sous le même toit, rassurants comme s’ils allaient rester. Lorsque je me rends sur l’Aubrac, quand je passe à hauteur de Leucate ou de Roquefort et que je traverse les Corbières, je pense bien entendu à la famille, mais je pense aussi à Joël Castany.

Un peu comme si ce théâtre antique ne pouvait exister sans lui. Sans ce tribun au charisme indéniable, au discours atypique à faire pâlir “les bricoleurs syndicaux” de service, au timbre enchanteur qui, tel un tragique grec, peut évoquer comme personne l’histoire viticole de notre Midi.
Voici quelques années, celui-ci me parla de son parcours en entortillant le verbe, en plissant les yeux pour mieux les ouvrir, en rognant les mots pour mieux les chanter, dans un article dont voici un extrait.
“Né en 1955, à demeure, du côté de Roquefort des Corbières cet élève brillant jusqu’au collège, où il arrive avec un an d’avance, obtiendra par la suite son Bac B et passera, pour finir, quelques mois à l’université de Toulouse, quasiment en pure perte. Après l’armée, il embauche, sur les doubles recommandations de son père et du milieu rugbystique, à l’agence du “creditagricole” de Sigean.

“L’art de déplacer les chaises”
Une banque qui lui permettra d’accéder à une formation comptable et commerciale de haut niveau où l’on maîtrise “l’art de déplacer les chaises” et celui d’une certaine expression orale. On lui propose ensuite un poste à Murviel les Béziers qu’il refuse. Il sera nommé à Port la Nouvelle, avant de revenir sur Leucate. Un peu comme si s’accomplissait déjà cette métaphore qu’il emploiera souvent par la suite : “L’argent ce n’est qu’un véhicule pour aller d’un endroit à un autre”.
Et puis un matin, en revenant de congés, il tombe sur une note de service indiquant la mise en place de congés sans soldes. Ce jour-là, il se lève et quitte son bureau pour ne jamais y revenir. Peut-être avait-il lu ce passage dans “Voyage en Italie”  de Giono: “À quinze ans, j’entrais dans la banque pour vingt francs par mois. J’avais sous les yeux le spectacle constamment renouvelé des passions humaines les plus communes…”
La suite, du retour “à la dure” sur l’exploitation familiale jusqu’à la cave des Vignerons de Cap Leucate en passant par ses fonctions bruxelloises à la tête de la commission viticole du Copa-Cogeca, beaucoup la connaissent, car elle est indissociable de la légende Castany. Cette légende jalonnée de noms qui ont marqué le Midi viticole, Jean Huillet, Philippe Vergnes, le regretté Gilles Pau, Jean Baptiste Benet et, entre autres, Antoine Verdalle qui confiait un jour à Castany : “Tu sais, le monde est guidé par le double culte du verbe et du chef”.

“Je suis de gauche… Mais…”
Depuis cette assemblée générale prononcée en occitan où, contexte oblige, l’on “comptait pour ainsi dire les morts”, jusqu’au renouveau d’une cave qui vient de fêter ses cent ans en rempilant pour un siècle supplémentaire, Castany aura fait bon usage de cette formule. Une formule dont il usera et abusera parfois ici, à Leucate, comme aux quatre coins de la planète où il ira, pendant dix ans, défendre et promouvoir notre viticulture. Il le fera en déroulant ses galets avec ce qu’il a retenu de ses cours en expression orale du temps où il n’était qu’un petit employé de banque. Il deviendra d’ailleurs l’homme d’une formule : “Du sucre au Nord, du pognon au Sud”.
Et voilà que Castany vient de transmettre le flambeau à Lilian Copovi qui sera secondé par Christophe Jaulent, Jean-Marc Vallverdu et Jean-Pierre Fournier à la tête des vignerons de Cap Leucate.
Alors, quand un responsable de cette trempe quitte la scène économique et syndicale, que l’on soit ou non d’accord avec lui, comme l’arbre que l’on aime retrouver à l’entrée du village, il est des mots, des phrases, des verbes qui restent à jamais gravés dans nos pensées.
Et puisque nous évoquons quelques phrases, en voici une que Castany, sans être à un paradoxe prêt, nous ressort quand, pour être tout à fait honnête, il sait aussi nous faire douter : “Je suis de gauche… Mais …”
Allez, à un de ces jours Joël. Merci pour ce que tu es et pour tout ce que tu as fait.

Jean-Paul Pelras

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *